La chose relève de l'inconcevable, de l'intolérable. Des Algériennes se font encore agresser de la manière la plus barbare et la plus rétrograde qui soit. L'épisode du quartier d'El Haicha, dans la ville de Hassi Messaoud est en train de refaire surface avec toute son horreur et toute l'indignation qu'il ne manque pas de soulever chez toutes les âmes éprises de justice et de respect de la dignité humaine. Des femmes, qui ont laissé la stabilité de leurs foyers et le réconfort de leurs familles pour aller chercher leur gagne-pain à des centaines de kilomètres, ont été prises à partie par des jeunes encagoulés. Parce que vivant seules, ces citoyennes ont été considérées comme vulnérables et facilement attaquables. Se décrétant justiciers de leur propre chef, ces jeunes se sont octroyés le droit de commettre des exactions physiques, verbales et morales pour des «fautes» dont elles doivent bien se demander de quelle nature sont-elles tant les concernées ont été prises de court par la brutalité de cette «descente punitive». Comble de lâcheté, les instigateurs de cette attaque innommable n'ont même pas pu assumer leurs actes, prenant le soin de masquer leurs visages pour éviter d'être reconnus et dénoncés à la police. Mais le plus grave dans cette douloureuse histoire, c'est précisément le peu d'empressement des services de sécurité à venir en aide à des femmes qui auraient pu être leurs mères, épouses, sœurs ou amies. De quel crime ces victimes inconsolables se sont-elles rendues responsables pour mériter que l'on s'en prenne à elles de la sorte sans que cela n'interpelle ceux qui sont censés veiller à la sécurité et à la protection des citoyens, a fortiori des citoyennes ? Le fait de vivre seule pour pouvoir travailler honorablement et venir en aide à sa famille est-il un délit sachant que ces femmes n'ont certainement pas eu d'autre choix que se déraciner et d'accepter des conditions précaires à défaut d'un toit décent ? La démission des services de sécurité dans ce type de situations renseigne, on ne peut mieux, sur la place peu enviable que la femme continue d'occuper dans le mental de notre société : «Elles n'ont eu que ce qu'elles méritaient !», diraient même certains. A tous les niveaux, l'on continue malheureusement à être confrontés à des attitudes qui rappellent que les Algériennes sont toujours considérées comme des mineures à vie, quel que soit leur niveau d'instruction ou l'importance de leurs responsabilités. Ce qui démontre dans quelle mesure le combat pour l'égalité est encore long à effectuer et à quel point la femme algérienne a besoin d'une législature qui la reconsidère dans toute la plénitude de sa citoyenneté. Une législature plus développée qui ne trouverait néanmoins sa vraie pertinence que par la voie d'une application concrète et réelle de ses dispositions. Car ce qui s'est passé, à nouveau, à Hassi Messaoud s'explique par l'absence d'une justice efficace et véritablement au service du citoyen : parce que les peines prononcées contre les auteurs de ces actes n'ont pas été à la hauteur de la gravité et de l'atrocité de ces derniers, d'autres misogynes haineux se sont permis de récidiver. La quasi impunité dont ont bénéficié les accusés des événements de ce juillet 2001 a forcément encouragé d'autres à déverser leur animosité et agressivité sur des innocentes qui n'ont fait que prendre leur destinée en main et assumé leur indépendance financière. Parce que justice n'a pas été faite comme il se devait, deux des victimes d'El Haicha n'ont pas hésité à raconter leur endurance dans les colonnes du livre-témoignage de Nadia Kaci Laissées pour mortes. Rahmouna et Fatiha ont témoigné pour évacuer définitivement leur douleur, mais aussi pour que le cauchemar qu'elles ont enduré ne se reproduise jamais. D'autres Fatiha et Rahmouna viennent hélas de revivre l'innommable. M. C.