Photo : Zoheir De notre correspondant à Constantine A. Lemili Le communiqué daté du 21 avril 2010 est venu rajouter à la panique des opérateurs économiques privés qui y sont affiliés. M. Lotfi Souilah, directeur général de Palma Nova, une unité de production de lait et yaourts faisant partie, au même titre que les unités de travaux publics ou de catering, du groupe familial du même nom, matérialise, on ne peut mieux, le désarroi des actionnaires face aux nouvelles mesures décidées par le gouvernement contenues dans le décret 10-89 de mars dernier. D'emblée, il soulignera l'une des premières conséquences matérialisées à la suite de l'officialisation de la mesure. «Nous avons été contraints de résilier 80 contrats de salariés. L'opération s'est faite en deux fois : 50 d'abord et face, malheureusement, au manque à gagner prévisible, 30 par la suite.»Notre interlocuteur ne s'explique pas l'ambivalence de la politique économique et sociale du gouvernement. «Dans un premier temps, il est question pour le gouvernement de créer de l'emploi tous azimuts dans le cadre du programme présidentiel et plus particulièrement de l'engagement pris par le candidat Bouteflika au cours de sa campagne. Dans cet ordre d'idées, donc, il était logique pour le secteur privé de s'attendre à une mise à niveau de la réglementation qui tiendrait compte de la spécificité du challenge en assouplissant tous les mécanismes possibles susceptibles d'harmoniser l'action gouvernementale avec la matérialisation sur le terrain par les opérateurs économiques privés de leur adhésion à la politique de l'Etat et donc de contribuer très concrètement à l'effort de développement.» En fait, à la lecture du décret évoqué, les dispositions ne semblent pas être outre mesure contraignantes et, dans les détails certaines seraient même salvatrices pour l'économie nationale, à l'image de l'obligation de «valider la qualité du produit importé par un organe conseil indépendant choisi par les services du gouvernement», a estimé M. Souilah, qui ajoutera : «C'est une mesure qui séparera, enfin, le bon grain de l'ivraie et laisserait incontestablement sur le carreau toutes les personnes à la tête de prétendues affaires.»Palma-Nova, dont notre interlocuteur a décliné d'indiquer le chiffre d'affaires, au motif que seul le conseil d'administration est habilité à en donner le préalable, se dit toutefois «sceptique quant à l'avenir d'une usine montée avec le concours de la BEA au coût de 20 millions d'euros». Preuve de son scepticisme ? «Nous envisagions de lancer dans les jours à venir la production d'un fromage de qualité supérieure. D'ailleurs est-il besoin de rappeler que notre production est labellisée et l'usine sera bientôt certifiée iso 22000.» Le document officiel attestant la démarche avec l'organisme européen concerné nous est remis à l'occasion pour confirmation. L'inquiétude a donc gagné les investisseurs locaux et pourrait-il d'ailleurs en être autrement à la lecture du communiqué du FCE évoqué précédemment. On y lit à titre d'exemple : «Ce texte officiel qui vient à peine d'être publié au Journal officiel a été mis en œuvre sans désemparer et commence donc à être appliqué, y compris aux opérations en cours de dédouanement», un cas de figure qui fait dire à notre interlocuteur : «Vous comprendrez aisément donc que nous sommes tenus de reprendre toutes les opérations administratives liées aux affaires déjà en cours. Ce qui équivaudra pour notre staff à refaire toutes les démarches déjà engagées, rassembler de plus en plus de documents en ce sens que chaque produit a son propre dossier douanier. Or, je vous dirai à titre d'exemple que, pour fabriquer un yaourt, il faudrait des dizaines d'éléments constituant la matière première. Donc autant de démarches administratives à entreprendre avec des fournisseurs étrangers. Mais le plus grave dans ces procédures, c'est le délai accordé par la matérialisation du dossier qui ne doit pas excéder un mois. Paradoxalement, les services administratifs des directions du commerce de wilaya, lesquels, est-il besoin de le souligner, sont l'instrument d'exécution décentralisé du gouvernement, ne sont pas suffisamment préparés pour traiter le flot très important de demandes de licence.» Le communiqué du FCE, considérant «une sous-estimation», notamment dans les wilayas à forte densité économique. Cela étant, nous nous sommes rapprochés d'un deuxième opérateur privé de la wilaya de Mila, dont l'affaire est de taille plutôt lilliputienne mais florissante. Son propriétaire, qui a accepté d'évoquer le sujet, a toutefois requis l'anonymat pour, excusez du peu, «éviter d'éventuelles mesures rétorsives à l'endroit de ma société». En somme, une crainte de représailles administratives. A chacun sa paranoïa sans doute, mais si le décret 10-89 est arrivé à créer une telle ambiance, c'est dire que l'opérateur privé algérien ne fait plus dans l'économie mais dans le thriller. Et forcément, tout cela n'est pas de bon augure. Quoi qu'il en soit, Mouloud B. enchaînera : «Cela fait quand même quinze ans que j'importe une gamme de produits essentiels pour l'ensemble du parc roulant algérien. Tous les produits sont de qualité garantie. Je fournis pour preuve que la société a gardé, depuis le démarrage de l'affaire, une clientèle qui a tendance à prendre de plus en plus d'ampleur. La question de la validation des produits ne m'a donc jamais inquiété pour la simple raison que mon fournisseur est affilié à un bureau de notation belge qui a une notoriété européenne.»Toutefois l'inquiétude de notre interlocuteur réside dans le fait qu'il soit astreint à des procédures «que aradoxalement j'ai tout le temps respectées» qui auraient plus pour conséquence d'alourdir les mécanismes huilés existant entre sa société et le fournisseur, et précisant sa pensée : «Au jour d'aujourd'hui, il importe peu à mon fournisseur d'avoir la garantie de disposer de la contrepartie financière des commandes que je lui fais. La fiabilité réciproque est devenue une réalité. Alors, même si je comprends toutes les raisons du gouvernement de protéger l'économie nationale, et c'est d'ailleurs une mesure que beaucoup d'entre nous saluent, ses départements auraient eu plus de génie quand même à ne pas mettre dans le même sac les opérateurs honnêtes et les imposteurs.»Dans l'immédiat, M. B. estime que«la situation est peut-être dramatique mais pas désespérée au point que je me libère d'une partie des quinze collaborateurs que j'emploie. C'est d'abord pour moi une question de justice sociale. Nous avons démarré l'aventure ensemble, nous allons essayer de traverser cette mauvaise passe ensemble en souhaitant que personne n'en soit victime. Quoi qu'il en soit, je m'accorde jusqu'à la fin de l'année 2010 pour voir venir parce que je reste persuadé que le gouvernement sera sensible à ce qui est en train de se passer. Il ne peut surtout pas être contre ses propres intérêts».