Photo : S. Zoheïr Par Ziad Abdelhadi Conscients que, faute de fumure et de fertilisants, dont les prix sont très souvent hors de portée, les sols ne se régénèrent pas et ne peuvent donc que donner de mauvais rendements, les agriculteurs ont adopté la jachère, c'est-à-dire l'abandon du sol pendant une période plus ou moins longue, comme mode de protection des terres. Ils pensent que les légères façons culturales réalisées sur jachère permettaient d'aérer le sol et d'emmagasiner l'eau de pluie. En somme, les exploitants sont de plus en plus convaincus que le recours à la jachère est incontournable pour faire face au phénomène de l'irrégularité du climat. Ils seront d'ailleurs nombreux à témoigner que «le stress hydrique constaté ces dernières années a rendu précaires par année les activités agricoles et agropastorales». Pour les agriculteurs, la jachère est un moyen efficace de réduire les aléas dus aux irrégularités pluviométriques. Ce qui explique donc la généralisation de cette pratique. Pour preuve, le dernier recensement de l'agriculture opéré en 2004 a fait ressortir que la jachère s'étend approximativement sur trois millions d'hectare ; la moyenne calculée sur vingt ans en incluant les terres «sinistrées» (terres ensemencées mais non récoltées faute de pluie de printemps) est de 3,6 millions d'hectares. De plus, on apprendra par des éleveurs des régions des Hauts Plateaux qu'une culture de jachère au profit des animaux nécessite l'engagement de frais nouveaux en équipements divers, c'est-à-dire plus de dépenses pour produire la nourriture du cheptel. En outre, l'agriculteur a l'habitude de comparer le rendement fourrager de la jachère pour lequel il n'y a pas de frais avec les coûts des fourrages cultivés. En effet, remplacer la jachère par une culture fourragère exige de passer d'un système extensif d'exploitation à un système intensif plus exigeant en capitaux. Du côté des agronomes, les arguments avancés pour motiver la pratique de la jachère ne tiennent pas la route car, pour eux, la mise en friche n'est rien d'autre qu'une «improvisation hasardeuse». Il suffit, selon ces agronomes qui se sont penchés sur la question des rendements obtenus sur des périmètres cultivés après leur mise en jachère, de faire parler les chiffres. A l'analyse, la conclusion est sans appel : les rendements s'inscrivent presque toujours à la baisse. «Certes, grâce au recours à la jachère, les agriculteurs ont réduit les aléas dus aux irrégularités pluviométriques, mais les rendements ont continué à être faibles», affirment-ils. Les agronomes spécialistes des grandes cultures ont précisé : «Contrairement à ce que pensent nombre d'agriculteurs, la sécheresse n'explique pas à elle seule la baisse des rendements agricoles. D'autres facteurs peuvent être retenus, dont la mauvaise utilisation des terres et des intrants ainsi que la non-utilisation de nouvelles techniques de production.» «Nous ne pouvons plus nous permettre le luxe de laisser des centaines d'hectares en jachère quand on sait le poids et l'importance des enjeux futurs : assurer au plus vite notre sécurité alimentaire notamment dans les produits agricoles de large consommation comme les céréales et la production importante de fourrages pour le cheptel de vaches laitières», soutiennent ces spécialistes. Dans cette perspective, «la mise en place d'un programme de résorption de la jachère devient impérative», diront des cadres du ministère de l'Agriculture et du développement rural. Cette option s'inscrit dans la stratégie d'exploitation optimale et clairvoyante des sols qui, dans cette perspective, visent, pour le court terme, la réduction de la jachère.Mais comment convaincre les agriculteurs de la nécessité d'abandonner la pratique de la jachère ? De l'avis des techniciens, «c'est en fonction de toutes les données composées du calcul économique, des techniques adéquates de conduite culturale, des moyens matériels et financiers disponibles et des structures agraires appropriées que pourront être envisagées, par un agriculteur averti, la réduction puis la suppression de la jachère et la mise en place de rotations des cultures plus intensives que le binôme actuel céréales-jachères qui prédomine dans notre système de production. Il y va de l'avenir alimentaire de notre pays qui a un grand besoin de se libérer de la grande dépendance des importations de denrées alimentaires».