Les nostalgiques de l'Algérie française ont la susceptibilité à fleur de peau. Il a suffi qu'un film, Hors-la-loi de Rachid Bouchareb, soit annoncé pour que les haines se déchaînent et annoncent un nouvel orage dans le ciel déjà très ombrageux des relations algéro-françaises. Cette fois, les polémistes, issus notamment de la droite au pouvoir, sont allés en guerre contre un film qu'ils n'ont même pas vu. Leur plan de bataille a même été préparé de longue date. Avant même le début du tournage du film, en juillet 2009. Lionel Luca, député UMP (Union pour un mouvement populaire, droite au pouvoir) est le premier à entonner les clairons de l'affabulation en demandant, dès octobre 2009, alors que le film était toujours en tournage, au ministre délégué aux anciens combattants, Hubert Falco, de peser pour demander à son gouvernement de ne pas soutenir financièrement ce film. «C'était en octobre 2009. J'ai lu dans Valeurs actuelles que Rachid Bouchareb préparait un film avec une partie assez longue sur Sétif, et qu'il allait glorifier les porteurs de valises du Front de libération nationale. Ma crainte fut alors que le film représente la France à Cannes. J'ai lu d'autres déclarations de Bouchareb disant qu'il allait rétablir la vérité. Mais quelle vérité ? La répression des Algériens a sans doute été disproportionnée. Mais le 8 Mai 1945, c'est d'abord le massacre d'Européens», raconte le député français au journal Le Monde. Rapidement, la polémique éclate. Et ils sont plusieurs, notamment au sein de l'extrême droite, à s'opposer à la projection de ce film avant même de ne l'avoir vu. Un collectif, appelé «Vérité Histoire-Cannes 2010», a même appelé, par le biais de sites proches de l'extrême droite, à manifester, du 21 au 23 mai prochains, à l'occasion de la tenue du Festival de Cannes, durant lequel Hors-la-loi représentera l'Algérie. Pour contrecarrer cette polémique, dans laquelle on veut même inclure le ministre français de la Culture, Frédéric Mitterrand, un groupe de personnalité et d'historiens français ont publié une contribution dans le quotidien français Le Monde pour protester contre cette volonté d'empêcher une œuvre de fiction. «Fruit d'une coproduction franco-algéro-tuniso-italo-belge, ce film est d'abord une œuvre libre qui ne saurait se réduire ni à une nationalité ni à un message politique et encore moins à une vision officielle de l'histoire», écrivent ces personnalités dont les historiens Mohamed Harbi, Benjamin Stora et Gilbert Meynier ainsi que l'éditeur François Gèze. «Le pire est à craindre quand le pouvoir politique veut écrire l'histoire que nos concitoyens iront voir demain sur nos écrans», conclut le document. Ces intellectuels ont révélé que la présidence française met la pression sur les producteurs français pour visionner le film avant sa sortie. Ce qui augure d'un mauvais présage.Le film Hors-la-loi, tourné essentiellement à Sétif, relate l'histoire de trois frères qui ont vécu les massacres de 8 mai 1945. Réalisé par le cinéaste Rachid Bouchareb (le film est coproduit par l'Algérie, la France, la Belgique et la Tunisie) le long métrage représentera l'Algérie au Festival de Cannes où il sera projeté en avant-première le 21 mai prochain. A. B.