Le film Hors-la-loi de Rachid Bouchareb a été présenté hier à la presse, après avoir tenu son monde en haleine. Cela intervient surtout suite à une polémique- une première- qui a précédé un film avant même sa présentation à un large public. La polémique, qui a engagé historiens, politiques et hommes de culture, a été lancée par un député UMP, Lionel Luca, qui, en multipliant les déclarations dans la presse contre ce qu'il a appelé «une falsification de l'histoire», a fini par réveiller les vieux démons des ultras et nostalgiques de l'Algérie française. Ce député des Alpes-Maritimes, et vice-président du Conseil général de ce département, a alerté le secrétaire d'Etat à la Défense et aux Anciens Combattants, Hubert Falco, et maire de Toulon, le 7 décembre 2009, dénonçant le concours financier apporté par le Centre national du cinéma (CNC) à ce film qu'il n'avait toujours pas vu, et demandé que le film ne soit pas présenté à Cannes sous pavillon français. C'est le début de pressions venant de toutes parts, notamment d'élus UMP, pour que le financement du film par les chaînes TV françaises soit interrompu. La polémique enfle. Un véritable procès d'intention est mené contre le film de Rachid Bouchareb, avant même sa sortie en salle. Un collectif nommé «Vérité Histoire-Cannes 2010», proche de l'extrême droite, appelle sur un site Internet à manifester à Cannes et à «pourrir» le Festival, dénonçant une «propagande politique» et «un véritable complot contre la France, son histoire, sa présence et son œuvre en Algérie». Inquiets des proportions que prend la polémique, un groupe d'intellectuels a publié dans le Monde une tribune, sous le titre «Le film Hors-la-loi de Rachid Bouchareb : les guerres de mémoires sont de retour», qui prend la défense du film. Historiens et chercheurs algériens et français, dont Yasmina Adi (réalisatrice), Didier Daeninckx (écrivain), Mohammed Harbi et Benjamin Stora (historiens), Pascal Blanchard, Gilles Manceron, Jean-Pierre Peyroulou, reviennent sur les circonstances dans lesquelles est née la polémique. Ils estiment que la campagne menée par des «milieux nostalgiques» de la colonisation contre le film de Rachid Bouchareb vise à «faire obstacle à la liberté de la création et à la nécessaire reconnaissance du passé colonial de la France». Ces historiens, relèvent que «ces réactions sont un symptôme du retour en force de la bonne conscience coloniale dans certains secteurs de la société française». Cette campagne est menée «avec la complicité des gouvernants, un député a lancé une campagne contre ce film avant même son achèvement, campagne relayée (ce qui est plus grave) par un secrétaire d'Etat», soulignent-ils, ajoutant que «les vérités officielles et les dénonciations de l'anti-France qui ont sévi à l'époque des guerres coloniales sont de retour». Mais «personne n'a demandé à Francis Ford Coppola de raconter dans Apocalypse Now la guerre du Vietnam avec une précision “historique”», répliquent les signataires dont la plupart sont des historiens, estimant que «l'évocation d'une page d'histoire tragique peut aussi bien passer par la fiction, avec ses inévitables raccourcis, que par les indispensables travaux des historiens». Et de conclure : «Le pire est à craindre quand le pouvoir politique veut écrire l'histoire que nos concitoyens iront voir demain sur nos écrans.» Début avril, le président Nicolas Sarkozy, lui-même, a demandé à voir Hors-la-loi, révèle le magazine l'Express. Mais le réalisateur et son producteur associé, Jean Bréhat, ont opposé une fin de non-recevoir à l'Elysée, précisant que «c'est avant tout un film de gangsters». Hors-la-loi raconte l'histoire de trois frères sur fond de guerre d'Algérie, entre 1945 et 1962. Le film s'ouvre sur les massacres de Sétif, le 8 mai 1945. «Le film est destiné à ouvrir un débat dans la sérénité. Je savais que le passé colonial était resté très tendu. Mais que ça suscite une telle tension autour du film ! Je suis surpris qu'on dise tout cela sans même l'avoir vu. Les spectateurs verront bien qu'il n'y a pas d'animosité…» annonce pour sa part le réalisateur. A. R.