Les mots font florès, garnissent les discours des dirigeants, des professionnels de l'information et de la communication. Pamphlets et pétitions, procès et brimades, louanges inexplicables, condamnations sans appel contre une presse «irresponsable», «manipulée» par le côté obscur de l'étranger, antinationale», etc. L'Algérie, des années après la loi d'avril 1990, semble avoir découvert le fil à couper le beurre et la manière radicale de rédiger une rokia ! L'éthique, la déontologie, la diffamation, les instances de régulation, la carte professionnelle, le secret des sources, le droit d'accéder aux sources… toutes ces «choses» si banales, si anciennes dans les démocraties modernes apparaissent comme des merveilles, des défis grandioses, le nec plus ultra des trouvailles dans l'Algérie de 2010. On mélange avec une indigence crasse les prérogatives de l'Etat pour la régulation, faire appliquer la loi et ouvrir sans rivages la liberté d'expression, le droit à l'information pour la société, sans censure et tabou, et des aspects qui relèvent de la seule compétence, paritaire, des éditeurs et des journalistes. Les pouvoirs publics n'ont rien à voir, dans une démocratie, avec l'auto-contrôle d'une profession qui édicte et fait respecter en son sein l'éthique, la morale, la rigueur, le respect d'autrui. Pour le reste, n'importe quel contribuable, n'importe quel parti, n'importe quelle institution peut saisir le tribunal compétent. En réalité, il y a face à face deux cultures, qui sont autant de mécanismes, de luttes, de mises à jour avec la modernité, de résistances au progrès, d'asservissements, d'invasions par l'argent… La première, très prégnante et surtout hégémonique dans les médias lourds, est l'héritage direct du parti unique. Dans les œuvres de fiction, la presse, la littérature, la tendance serait de donner les pouvoirs aux «commissions de lecture», aux ministères et «familles» gardiens d'une pure orthodoxie, qui tiennent, par la grâce de l'auto-proclamation, les cordons d'une bourse rachitique mais très courtisée, comme la soupe populaire. Cette culture dominante dans les appareils consiste à faire délivrer des autorisations, la publication et la diffusion de ce qui est jugé «correct» par des gens totalement inaptes mais qui imposent des critères qui vont de soi, «adoubés» par routine. Juges et parties, éventuellement financiers, exerçant des censures nulle part inscrites, des sectes n'ont aucun contrepouvoir. Elles sont les premières, en matière de presse, à philosopher sur l'éthique et «l'incapacité des professionnels à s'organiser» alors que la publicité étatique régule, que les sponsors sont recherchés pour un clip, un téléfilm ou une émission quelconque. La deuxième culture, malmenée à bon escient, est à l'ouvrage, justement à l'intérieur des créateurs non officiels, de la presse privée et parfois (trop rarement) dans les médias lourds. Dans diverses corporations, des entreprises de toutes les tailles, des professionnels jeunes et moins jeunes luttent chaque jour pour la modernité, la liberté d'expression, le droit d'informer et de créer. C'est là que se trouvent les potentialités et les gisements pour un pays de liberté, de démocratie, de tolérance, dans les difficultés et l'absence de volontarisme des pouvoirs publics pour que ce pays de rêves possibles émerge rapidement. Les discours sur l'éthique là où elle n'est même pas envisagée discréditent et cachent très mal le gel de l'ouverture médiatique, la pénalisation des délits de presse, la loi sur la pub qui rendrait majeurs et responsables les dirigeants d'entreprises publiques en la matière. Alors, l'éthique est exclusive à la profession, à toutes les professions dès lors que l'Etat respecte la Constitution, les lois et les fait respecter par ses démembrements, qui cultivent des tics. A. B.