De notre correspondant à Tizi Ouzou Lakhdar Siad Appeler «ville» ce qu'est devenue l'ancienne Tizi Ouzou serait un grave délit d'usurpation urbanistique et architectural. L'assemblage de béton, de ferraille et de goudron qui fait se détourner la vue de ce qui reste de l'ancienne ville rappelle aux habitants désabusés et aux passagers écœurés combien est noble et difficile la mission de gérer les collectivités locales, la cité et la proximité, dans une région ayant déjà du retard économiquement et combien il est dangereux de la mettre entre des mains incompétentes et involontaires. Si, depuis au moins une décennie, les résidants de la ville de Tizi Ouzou se sont résignés à aller prendre leur bol d'air loin de la laideur et des pollutions diverses que produit leur site d'habitation situé au chef-lieu de wilaya, n'est-il pas bon de se demander ce que sont devenus les endroits et coins fétiches qui soulageaient jadis (par nostalgie ?) les nerfs le temps de s'y frotter légèrement. Tizi Ouzou a tout simplement perdu l'essentiel de ses repères qui racontaient son passé en cédant aux froids engins des travaux publics sa mémorable rue du nom du non moins insigne révolutionnaire Abane Ramdane communément désignée par «grand'rue». La seule rue qui mérite et porte bien son nom de centre-ville. Anciennement rue Beauprêtre, à l'époque coloniale, la rue Abane Ramdane (ou plus justement ses bribes) constitue à elle seule de précieuses archives d'habitat qui permettent de reprendre le fil de l'histoire de la naissance de la ville de Tizi Ouzou (col des Genêts, en français) : ses premiers peuplements, sa configuration au XVIIIe siècle sous la domination ottomane de la région de Kabylie en passant par l'arrivée des Français au XIXe siècle et les premières décennies après l'indépendance. La rue Abane Ramdane était un monument ancien et moderne de Tizi Ouzou, jusqu'à l'été de l'année 2004 quand il a été décidé de mettre en chantier deux trémies qui la transformeront en un difforme gruyère où automobilistes et piétons se perdent et perdent la raison à longueur de mètres et de pas parcourus. Même les noms symboliques (que très peu de gens connaissent d'ailleurs), à savoir trémies Djurdjura, qui a coûté 200 millions de dinars, et 1er Novembre, donnés à ces «ouvrages d'art», ne consolent pas les usagers des peines et ulcères journaliers qu'ils génèrent. Pourquoi ce meurtre ? Tizi Ouzou est-elle dotée suffisamment en équipements urbanistiques pour penser à de tels projets en pareil endroit ? Plan de circulation ? Il n'en était pas question en ce temps de manipulation politicienne qui a vu aussi la destruction de l'espace vert de la cité les Genêts en face du CHU Nedir Mohamed pour en faire des locaux commerciaux. Grand'rue ? Les piétons rechignent et évitent au maximum d'emprunter ce labyrinthe, et le peu d'automobilistes qui y circulent (plus d'espace pour se garer !) le font comme ils le peuvent parce qu'ils n'ont pas le choix. D'anciennes boutiques se sont reconverties en fast-foods ou pizzerias ou autre activité faute de clients. Le mythique café Idheballen (troupe folklorique kabyle) a tout simplement disparu. Situé à l'angle de la partie ouest de l'ancienne grand'rue, face au jet d'eau, ce café était un lieu de rendez-vous, de rencontre et de départ de plusieurs générations de Kabylie. Aujourd'hui, quelque chose d'extrêmement ordinaire et commun devrait être construit à sa place tellement on ne peut pas le remarquer. Les Idheballen doivent désormais patienter sous le soleil, dehors, éparpillés, adossés aux barreaux, dans l'attente d'éventuels clients. Sinon, on nous promet une ville de Tizi Ouzou et des chefs-lieux de daïra et commune plus beaux avec les budgets qui ont été alloués par le ministère de l'Habitat et de la Construction. A Tizi Ouzou, il est question de l'aménagement du jardin Mohand Oulhadj et du square du 1er Novembre toujours au stade de chantier. Qui vivra verra, dira-t-on, au rythme où vont les travaux. Alors ville ou ex-ville de Tizi Ouzou ?