Photo : Riad De notre correspondant à Annaba M.Rahmani La grève des cheminots qui a duré 9 jours, paralysant ainsi des centaines de dessertes à travers tout le pays aura été une démonstration de force des travailleurs qui se sont passés de leur syndicat pour exiger de l'employeur la prise en charge de leurs revendications. Le 9 mai à 00 h, les cheminots de Souk Ahras ont été les premiers à donner le «la», suivis par la suite par l'ensemble des travailleurs de la SNTF au niveau national. Le téléphone portable a été le moyen de communication le plus sûr pour propager le mouvement qui avait déjà pris de l'ampleur, touchant les gares les plus éloignées. Les cheminots s'étaient contactés et il n'y avait nul besoin de documents signés ou autres pour que le mot d'ordre de grève soit massivement suivi. «Il fallait que la grève soit lancée de Souk Ahras, nous a déclaré, hier, dans cette dernière ville, l'un des meneurs du mouvement ; ici, c'est la ligne minière et elle représente à elle seule 75% des recettes de la SNTF ; si elle s'arrête, c'est tout le réseau qui s'en ressent. Tous les cheminots à travers le pays sont au courant des problèmes que nous vivons, leur soutien est nécessaire et ils l'ont apporté en s'arrêtant de travailler, certains dans la même journée, d'autres ont suivi 1 ou 2 jours plus tard.» Selon un autre travailleur, les conditions de travail sont déplorables, les machines (locomotives) sont dépourvues d'éclairage intérieur, amenant le mécanicien à utiliser une lampe électrique ou autre pour pouvoir contrôler le tableau de bord, les wagons sont vétustes et ont 40 ans d'âge, ce qui dépasse largement les normes admises, c'est-à-dire une durée de vie de 24 ans. La ligne de chemin de fer est accidentée et nécessite des interventions qui se font rarement. Citant en exemple un des tronçons accidentés, il nous rapportera que, pour couvrir une distance de 56 km, il faut 12 à 13 heures, surtout avec les ralentisseurs qui font passer la vitesse de 60 à 15 km par heure. Les signaux électriques ne sont pas réparés et les trains entrant en gare doivent rester parfois des heures avant qu'un chef de service se déplace à pied pour donner lui-même le signal. Les tenues de travail et uniformes datent depuis bientôt 2 ans alors que la réglementation prévoit leur renouvellement chaque année. Aujourd'hui, on n'arrive plus à distinguer un chef de service ou un contrôleur d'un voyageur. «Nos salaires sont dérisoires et on n'arrive plus à vivre décemment. Il nous fallait cette grève pour être entendus, poursuit-il, avec la nouvelle grille des salaires et indemnités, ce sera mieux mais c'est toujours insuffisant, nous attendons qu'elle soit appliquée et nous verrons d'ici là.» La ligne minière qui s'étend sur 374 km de Berrahal (Annaba) à Djebel Onk (Tébessa) passe par Souk Ahras qui est le point de jonction de tout le trafic ferroviaire de la région. Sur cette ligne, en dehors du train de voyageurs qui traverse 5 wilayas (Guelma, El Tarf, Annaba, Souk Ahras et Tébessa), c'est surtout l'approvisionnement des complexes sidérurgique et pétrochimique en matières premières qui ont été les plus touchés par la grève. En effet, pas moins de 8 trains sont programmés chaque jour, 4 DO (phosphate) de 8 440 tonnes/jour et 4 OZ (minerai de fer) de 7 776 tonnes /jour en plus des trains de carburants dont 8 citernes sont destinées à Annaba, 3 à Souk Ahras, 3 à Dréa (dépôt Naftal) et 4 à Tébessa. Avec cet arrêt de 9 jours, la SNTF a enregistré un manque à gagner de 5 milliards, ce qui est énorme pour une société soutenue à bras-le-corps par les pouvoirs publics. Sur les raisons qui ont poussé les travailleurs à cette fronde et à cet «affranchissement» de leur syndicat, un membre du conseil exécutif fédéral nous a rapporté que certains cadres syndicaux ont poussé au pourrissement de la situation à tel point que les travailleurs se sont rebellés et ont conduit par eux-mêmes le mouvement de grève. Selon cet élu, le Conseil exécutif fédéral (CEF) doit se réunir tous les 6 mois pour formuler des propositions et transmettre les revendications des travailleurs au bureau fédéral qui, à son tour, doit se réunir avec la direction générale et négocier en vue de satisfaire lesdites revendications. Cela n'a pas été le cas, le CEF ne s'est pas réuni depuis 3 ans et le bureau fédéral a pris attache avec la direction à l'insu du CEF sans pour autant en informer la base, sections syndicales et travailleurs. 40 sur les 60 membres du CEF, soit les 2/3, avaient demandé au bureau fédéral la tenue d'un conseil en février dernier mais l'écrit qui avait été adressé est resté lettre morte. 3 mois plus tard, la situation n'a pas changé et les travailleurs, las d'attendre et ne voulant plus reconnaître en ces syndicalistes la qualité de représentants, sont passés à l'action en lançant cette grève. La fédération, devant ce mouvement qui a pris de l'ampleur et qui lui a totalement échappé a pris «le train» en marche et a été obligée de négocier parce qu'étant le représentant légal et le seul interlocuteur de l'employeur. Un autre point et non des moindres et pouvant faire, dans les tout prochains jours, l'objet de protestations qui perturberont certainement le trafic SNTF est celui du comité de participation. En effet, il n'y a eu aucune information à destination des travailleurs ou des syndicalistes sur le sujet et tout s'est déroulé dans l'opacité. «Nous ne sommes au courant de rien, nous déclare un syndicaliste, il n'y a pas de transparence et cela peut aussi provoquer la colère des travailleurs.» La reprise du travail par les cheminots qui s'est faite lundi dernier sur presque tout le réseau SNTF à travers le pays n'a été effective à Annaba et Souk Ahras que dans la soirée d'hier. Il avait fallu le déplacement du directeur régional ferroviaire de Annaba à Souk Ahras pour convaincre les grévistes avec force documents et assurances personnelles que les revendications formulées ont été entièrement satisfaites. Cette reprise salvatrice, du fait de l'importance de la ligne minière pour l'économie de toute la région qui risquait d'être étouffée, devrait donner à réfléchir aux responsables de la SNTF pour, à l'avenir, éviter une confrontation avec ses employés qui, somme toute, ne demandent qu'à travailler dans de meilleures conditions et à être décemment payés.