Le désengagement de l'Etat des entreprises dites culturelles, s'il était une nécessité économique, et en même temps une libération pour une série de corporations et de métiers, a cependant été brutal. N'ayant pas été précédé d'une sérieuse réflexion, d'un large débat national, il a été un échec retentissant et un puissant générateur de paupérisation, de précarité, d'exils et de grandes déperditions pour des secteurs, des corps de métiers et d'un sérieux vieillissement, faute de relève dans les champs artistiques. Les désarrois, les difficultés financières pour l'entretien des familles, les blocages objectifs quant à la production, en l'absence d'industries ont provoqué un violent retour du boumerang. Tous les reflux ramènent à l'Etat, à l'assistance publique, la recherche désespérée et irrationnelle d'un «statut» de l'artiste. En clair, il s'agirait d'inventer la législation, les règlements et les financements pour que les artistes soient salariés, assurés sociaux et retraités. Le tout à la charge du Trésor public, donc des contribuables, donc de Sonatrach. La thèse, sinon cette utopie, fait florès. Des regroupements corporatistes, l'UGTA, des professions, tous sont en manque d'un statut pour tous les artistes. La première difficulté s'avère être un casse-tête insondable. Il s'agirait de décider sur un «truc» dément. En dehors d'une demande, d'un succès populaire éventuel, d'un rayonnement culturel indiscutable, de recettes avérées, qui est artiste ? On ne peut que souhaiter bon courage aux institutions, aux individus, aux experts dans plusieurs disciplines pour lister les lauréats de l'attribut «artiste», pour les élire au statut de salariés de l'Etat. C'est de cela qu'il s'agit et de rien d'autre. Et un salarié doit bénéficier d'un salaire, d'une couverture sociale pour lui, sa famille et d'une retraite qu'il s'agira de calculer en termes d'années, d'âge légal et de cotisations. L'ensemble doit donc correspondre à un travail, à des productions et à des recettes et à une plus-value. Mais la création artistique est singulière, à nulle autre pareille. Il faudra donc autant de régimes particuliers que de segments artistiques. Un chanteur, un parolier, un peintre, un cinéaste, un sculpteur, un musicien, un danseur, un dramaturge ou un décorateur, s'ils sont tous des artistes (selon des critères à lister) ne font pas le même travail calculable en volume horaire, en annuités, en pénibilité et encore moins en recettes sonnantes et trébuchantes encaissées quelque part dans la transparence. Si l'Etat doit d'abord exercer ses prérogatives dans ses propres institutions, il lui appartient aussi de créer et de protéger toutes les conditions permettant l'expression plurielle des cultures, donc de toutes les sensibilités culturelles et de toutes les pratiques artistiques. Entre des salariés (de l'Etat) d'un théâtre subventionné, un chanteur payé en liquide à l'occasion d'un mariage, un autre édité sur cassette par un privé, un peintre qui vend directement ses toiles, un cinéaste établi à son compte, un acteur intermittent et un musicien occasionnel, on demande aux pouvoirs publics d'inventer un statut commun, avec l'arrière-pensée d'un salaire, d'une protection sociale et d'une retraite. A ce stade où sont mixés un «social populisme», démagogique, «une légitimité historique» que confère le privilège de l'âge, l'ancienneté dans le métier (le plus âgé dans le grade le plus élevé !), les services rendus à la patrie peu reconnaissante, la proximité courtisane avec les décideurs sinon l'ethnie ou la région, moi, vouloir statut. Le credo est repris au gré des saisons, là où il n'y a pas d'industries, de conformité (informatisée) avec le fisc, de cotisations aux diverses caisses habilitées, mais des sachets noirs, pour que Mamma Sonatrach fasse des artistes des salariés. Pourquoi pas un statut pour les intellectuels, les journalistes, les chercheurs sur le réchauffement climatique et les associations de supporters des clubs de foot ? Quel était et quel est le statut de Oum Kelthoum, Youcef Chahine, J.-L. Godard, Elvis Presley, M. Makeba, Safy Boutella, Jean Ferrat, Picasso, M. Allouache et Coppola ? Celui gagné par le talent, le travail, les recettes de leurs œuvres et leurs cotisations ou pas pour leur retraite. Faute d'industries, de productions, de diffuseurs et d'espaces, on cherche un statut dans un désert en termes de productions quantitatives, d'audiences payantes, d'un marché des œuvres artistiques, de caisses spécifiques. Partout dans le monde moderne, il y a des artistes archi riches, d'autres qui vivent de leur art, d'autres intermittents ou qui émargent aux allocations chômage, etc. Mais en Algérie, on veut inventer un statut sans marché, sans industries, sans fréquentations mesurées au centime près, sur mesure selon des critères forcément introuvables. A. B.