Qui l'eût cru ? Même au pays du cricket, on se passionne pour la Coupe du monde de football. L'Inde n'est pas un pays de football. La deuxième nation le plus peuplée du monde (plus d'un milliard d'habitants) pointe à la 133e place du classement FIFA, entre les îles Fidji et les Bermudes. Mais si les Indiens sont des quiches en football, ça ne les empêche pas de suivre la Coupe du monde. Ainsi en ce moment, devant le plus grand événement sportif de la planète, au pays de Gandhi, comme dans tous les pays, on s'amuse, on pleure, on rit… Le ballon rond n'a pas la même empreinte partout dans le sous-continent. Il suffit de regarder la provenance des équipes qui se sont affrontées dans la I-League cette année (le championnat de première division indien): sur 14 équipes, 4 viennent de Goa, 3 de Bombay et 3 de Calcutta. Plus généralement, le football en Inde est surtout présent sur les côtes car c'est un héritage colonial. Faisal Kamal, manager de contenu associé en Inde pour la chaîne sportive ESPN, explique cet état de fait : «Le Bengale occidental [l'Etat de Calcutta] a une riche tradition de football. Historiquement parlant, ils jouaient à différents sports en fonction des saisons : le cricket en hiver et le football l'été, pendant la mousson. Peu à peu, des clubs ont été formés et l'Etat est devenu doucement la Mecque du football indien.» Mais la hiérarchie est en train de basculer. Aujourd'hui, c'est l'ancien comptoir portugais de Goa, bien connu des fêtards, qui tient le haut du pavé footballistique. Pour Faisal Kamal, «la prédominance actuelle de Goa s'explique par l'influence des Portugais, de qui ils ont repris les subtilités du football. D'ailleurs, les quartiers généraux du football indien sont en train de plus en plus de s'installer à Goa, car les clubs du Bengale occidental ont des problèmes financiers et administratifs. Le Dempo de Goa est par ailleurs le champion incontesté de la I-League, alors que les clubs du Bengale ne sont plus très bons». Le Kerala, à l'extrême sud du pays, est aussi une des terres indiennes de football. Quand on visite cet Etat, on peut voir des terrains de foot le long des voies ferrées et lorsque vous expliquez que vous êtes français, les jeunes du coin vous parlent spontanément de Zidane. Le Kerala, c'est, là encore, une région concernée au premier chef par la colonisation puisque c'est ici que Vasco de Gama débarqua pour la première fois sur le sous-continent, à Kozhikode (Calicut). Ce qu'on appelait la région de Malabar passa ensuite sous domination britannique. Un club du Kerala joue en I-League, il s'agit du bien nommé «Viva Kerala», basé justement à Kozhikode, et qui arbore un logo kitsch à souhait. A noter que le Kerala est l'un des deux seuls Etats communistes du pays avec… le Bengale occidental. En Inde, le foot se joue collectif et collectiviste. Au-delà des régions côtières évoquées, le foot est aussi suivi dans les grandes métropoles. A New Delhi, si la ville est actuellement complètement en travaux parce qu'elle se prépare à accueillir les Jeux du Commonwealth (avec le sacro-saint cricket) à la rentrée, on peut tout de même suivre le football dans les bars un peu chics de la capitale. Globalement, en Inde, le football est plutôt suivi par les middle et upper class que par le bas peuple. L'Inde climatisée et anglophone, en gros. Le football reste un sport secondaire en Inde, derrière le cricket. Pour Faisal Kamal, c'est clair : «Même si la qualité du foot s'est améliorée depuis quelques années, l'engouement pour les deux sports n'est vraiment pas comparable.» Il y a peut-être un endroit où le foot est aussi populaire que le cricket, c'est dans les Etats du Nord-Est, la région de l'Inde coincée entre le Népal et le Bhoutan. La plupart des photos qui illustrent cet article ont été prises la semaine dernière à Darjeeling (oui, la ville du thé), à la frontière entre le Bengale occidental et le Sikkim. Elles témoignent d'une grande ferveur footballistique. Dans la ville, quasiment toutes les maisons arborent un drapeau pendant la Coupe du monde. A noter que la star de la sélection indienne, Baichung Bhutia, vient du Sikkim. Il est à la fois meilleur buteur, recordman du nombre de sélections et capitaine de l'équipe. L'équipe nationale, justement. On l'a dit en début d'article, ce n'est franchement pas ça. Mais d'après Faisal Kamal, il y a du mieux : «L'équipe nationale vient de connaître quelques bonnes années et a gagné coup sur coup la Coupe Nehru et l'AFC Challenge Cup [deux sortes de sous-coupes d'Asie]. Elle s'est qualifiée pour la Coupe d'Asie 2011 et se retrouve dans un groupe compliqué avec la Corée du Sud et l'Australie. Et puis le buteur Sunil Chetri vient de signer un contrat avec l'équipe de Kansas City.» Quand la croissance de sa sélection se mesure à la signature d'un contrat en Major League Soccer américaine, on est quand même loin des grandes sélections. Alors, pour rêver, les fans de foot indiens se reportent sur des sélections engagées en Coupe du monde, en l'occurrence le Brésil et l'Argentine. Attraction pour deux équipes favorites, bien sûr, mais aussi solidarité d'hémisphère. Manque de pot, les deux viennent de se faire éliminer en quarts de finale. Décidément, en Inde, le foot rime souvent avec lose. L. M. *In slate.fr