Interdite en 1790, l'astrologie s'épanouit au XIXe siècle dans les cercles occultistes, avant de revenir à la lumière au XXe siècle, portée par la presse et Internet. Si sa scientificité n'est plus admise, elle reflète toujours le désir de l'homme d'explorer ses liens avec le cosmos.«L'astrologie ressemble à un temple vétuste, déjà délabré, que beaucoup de bons et de mauvais architectes ont réparé au cours des siècles», s'amuse l'historien de l'astrologie Wilhelm Knappich. Dès 1790, les astrologues ne sont plus les maçons de leur «maison». Dresser un ciel leur est désormais difficile, suite à l'interdiction de l'impression des tables et des éphémérides permettant leur calcul. Privée de sa scientificité astronomique, l'astrologie s'échafaude souterrainement, puisant dans la kabbale, la géomancie, la chiromancie et autres prophéties. Astroflash et Madame Soleil C'est donc par la petite porte que l'astrologie fait son entrée, lorsqu'en 1880, l'Anglais W. F. Allan (alias Alan Leo), un voyageur de commerce, croise le chemin d'Helena Blavatsky. Elle confère son savoir théosophique, lui ses dons de marchand. Ensemble, ils ne publieront pas moins de 20 000 horoscopes gratuits dès 1890, anticipant d'un demi-siècle l'ère de l'entreprise astrologique moderne. En France, il faudra attendre 1930, pour que 60% des cartésiens méditent leur destinée dans Paris Soir, puis 1960 pour qu'ils décryptent leur horoscope sur ordinateur. Dès 1969, Astroflash propose des thèmes astraux personnalisés, sortant de la bouche d'ordinateurs. Summum de la modernité, cette astrologie informatisée ne séduit pas moins de 100 000 clients par an. «Je suis une météorologue qui annonce les calmes et les tempêtes» : pendant plus de trente ans, cette voix inonde les ondes d'Europe. En 1970, Madame Soleil devient le guide Michelin des astres… et des médias qui suivent tous cette bonne étoile : presse magazine, radio, télé, Minitel, tous font de l'astrologie leurs choux gras. «De 1930 à 1970, l'astrologie sort de son underground occultiste», analyse le sociologue Claude Fischler : «providence» pour les couches pauvres, «magique» pour les couches populaires, l'astrologie moderne séduit désormais les élites, et c'est bien là sa spécificité. De la princesse Margaret à François Mitterrand, on ne consulte plus dans l'ombre des boudoirs. «Comment je vais, moi, et comment va la France ?» demandait le président de la République à son astrologue attitrée Elizabeth Teissier. Chaque année, son petit vade-mecum Votre horoscope s'arrache à plus de 150 000 exemplaires. L'Astrologie pour les nuls ou L'Astrologie mondiale d'André Barbault attestent de la futuromania des Français. Un repli tout relatif Toutefois, un léger essoufflement commence à se faire sentir. Depuis une quinzaine d'années, «les rayons spécialisés se réduisent comme une peau de chagrin. L'astrologie traditionnelle n'est plus de mode et jamais les astrologues n'ont eu aussi peu de clients», selon Gilles Bonnerot, responsable des éditions Astroflash, dont les ventes annuelles ont chuté de 20%. Un décrochage que constate également Catherine Aubier, fondatrice de Maison 9, la première école d'astrologie par correspondance : «Depuis sa création en 1969, Maison 9 compte plus d'un millier d'élèves. Or, depuis plus de dix ans, nous observons une baisse de 50% ! Le boom des années 1980 a permis de sortir l'astrologie du sectarisme, mais victime de l'excès de son succès, l'overdose d'astrologie risque d'être toxique à force d'être empoisonnée par nombre de dérives.» En 2000, 80% des Français affirmaient «ne pas croire aux prédictions par les signes astrologiques», selon une étude de la Sofres. Un repli relatif, que les scientifiques n'ont pas manqué de creuser. «L'astrologie est bidon, parce qu'elle se fonde sur une connaissance du ciel complètement caduque, souligne l'astrophysicien Daniel Kunth. Il n'y a pas 12 constellations du zodiaque, mais 13, et tous les signes astrologiques sont faux !» Selon la «précession des équinoxes», nous naîtrions sous le signe qui précède le nôtre : le Bélier en Poisson, le Sagittaire en Scorpion. Car chaque année, le soleil entre un peu plus tard dans les constellations. Face aux incohérences et critiques, comment expliquer que cette prédiction tende à se populariser ? «Les astres inclinent mais n'obligent pas», soulignait Ptolémée. Une réponse que les voix les plus connues de l'astrologie contemporaine ont su faire entendre à l'unisson, par-delà les querelles des différentes chapelles. Car les astrologues eux-mêmes reconnaissent que l'astrologie n'est pas une science. Sa recrudescence trouve sa source ailleurs : dans les profondeurs de la psychologie. Loin d'avoir une causalité physique, psychique ou matérielle sur les hommes, les astres reflètent le signe de ce que nous sommes. Si correspondance il y a entre l'homme et les planètes, entre le microcosme et le macrocosme, il serait purement symbolique : la carte du ciel de naissance d'un être présagerait ses potentialités, sa personnalité, non sa destinée. Jung, la théorie de l'inconscient «Le sage régit son étoile, l'ignorant est régi par elle», professait saint Thomas. Dès les années 1960, André Barbault, le précurseur de l'astro-psychologie individuelle et collective, observe un «déterminisme» commun inhérent à l'astrologie et à la psychologie : l'homme ne naîtrait pas libre mais le deviendrait ! Car l'humain a «projeté dans le cosmos les lois de l'ordonnance de sa psyché», affirme le psychologue Carl Gustav Jung. Sa théorie de l'inconscient collectif et des archétypes inspire alors nombre de psycho-astrologues. Car si la psychologie sonde le psychisme de l'homme de l'intérieur par l'inconscient, l'astrologie le scrute de l'extérieur par son thème astral, mais la matière, le langage et la réalité restent les mêmes. Selon Catherine Aubier, «les planètes symbolisent des archétypes fondateurs de l'homme. Prévoir l'avenir en astrologie, ce n'est pas prédire le futur mais anticiper par l'herméneutique des cycles planétaires, les questions qui nous seront posées quant à notre évolution spirituelle. Si l'astrologie peut décrire les événements à venir, elle ne peut prédire ce que l'individu en fera : le déterminisme qu'elle induit nécessairement laisse donc toute liberté au libre-arbitre de chacun». Dérives et «croyance clignotante» Pourquoi, alors, nos contemporains implorent-ils le ciel étoilé ? «Si les gens continuent de croire à l'effet des planètes sur leur caractère, c'est que l'enjeu se situe par-delà le vrai et le faux», nuance le sociologue Guy Michelat, chercheur au CNRS. Son collègue Daniel Boy confirme qu'avec «la désaffection des lieux de culte et la faillite de la science, celles-ci ne remplissant plus leur fonction protectrice, l'astrologie a pris le relais». Et le supermarché parallèle du religieux a ouvert ses portes à des adeptes prêts à payer une consultation entre 50 et 250 euros afin d'exorciser l'incertitude. Avec Internet, le prix du doute frise la folie, grâce aux sites de télépaiement surtaxés : astrocompatible, numéro d'amour, tarot-sexe ; les dérives de l'astrologie sur la Toile sont, comme son support, incontrôlables.Qui ensorcelle alors les astrophiles ? Au grand dam de la Fédération des astrologues francophones (FDFA), qui ne peut juguler les charlatans malgré son code déontologique, n'importe qui : astrothérapeutes, astrologues mais aussi voyants, cartomanciens, marabouts. Alors que l'on comptait dans les années 1990 pas moins de 40 000 astrologues en France - soit autant que de prêtres -, aujourd'hui, ils ne seraient plus que 10 000 en exercice. Malgré cet affaiblissement récent, le renouveau astrologique des temps modernes est à la mesure de la «faillite» de la science. «Au moment où l'homme a fait ses premiers pas sur la Lune, s'est épanoui quelque part sur Terre le culte de Madame Soleil», ironise le sociologue Edgar Morin dans son incontournable étude La Croyance astrologique moderne. Pendant que les astronomes accèdent aux milliards d'années, lumière, les astrologues concèdent aux âmes esseulées leurs remèdes millénaires contre l'angoisse. Cette «croyance clignotante», telle que l'a baptisée Edgar Morin, serait-elle à même d'orienter notre ego déboussolé ? L'astrologie serait-elle une réponse, tant invoquée, au désenchantement du monde moderne ? Ne serait-elle pas le dernier mot de l'homme atomisé afin de se relier à un cosmos intériorisé, lui qui est né selon une «mystérieuse nécessité» ? Depuis cinq mille ans, l'astrologie répond à ce mystère si profond, qu'à chaque fois qu'on la croit désuète ou moribonde, elle renaît. Sans doute l'indice que ce récent repli n'est, somme toute, que relatif, en regard à son immémoriale longévité. Mais, de même qu'on peut se demander comment sortir de la dissonance entre l'homme et l'univers, de même on peut se demander comment dépasser la dissociation entre l'astrologie traditionnelle et l'astrologie moderne, émiettée. Espérer une «coexistence» des deux, c'est la prédiction du professeur Yves Lenoble, vers l'avènement d'une astrologie «post-moderne». C. T. in Le Monde des Religions Juillet 2010 Pour aller plus loin - André Barbault, De la psychanalyse à l'astrologie (Seuil, 1961). - Claude Fischler, Le Retour des astrologues (Club de l'Obs, 1971). - Edgar Morin et Claude Fischler, La Croyance astrologique moderne (L'Âge d'homme, 1981). - Suzel Fuzeau Braesch, La Preuve par deux (Robert Laffont, 1992). - Jacques Vanaise, L'Homme univers (Le Cri, 1993).