Photo : S. Zoheir Par Samir Azzoug A chaque période son obsession. En Algérie, pour le Ramadhan, c'est le couffin. Dès que le mois sacré pointe son croissant, les fidèles se soucient plus que de coutume de la mercuriale et de la manière de décorer leur table de f'tour. Ainsi, le couffin requiert une telle importance durant ces quatre semaines de jeûne que l'une des opérations les plus importantes de l'année, pilotée par l'Etat, en porte le nom. «Solidarité Ramadhan» est une aide apportée par les pouvoirs publics, via le ministère de la Solidarité nationale et ses satellites, aux nécessiteux, plus communément appelée le «couffin de Ramadhan». Depuis plusieurs années déjà, la distribution de ces aides aux familles dans le besoin bénéficie d'une forte attention aussi bien de la part des responsables, des médias que de la population. A peine désigné, Saïd Barkat fait face à l'une des opérations les plus importantes de secteurs de la solidarité. Car mener à bien cet exercice est un gage sérieux de réussite et surtout de crédibilité. Pour 2010, les chiffres présentés par le nouveau ministre paraissent rassurants (autant que peuvent l'être les statistiques). Selon Barkat se basant sur les demandes d'aide, le nombre de familles dans le besoin aurait diminué de 60 000. Une donnée que le ministre extrapole pour la projeter sur le niveau de vie des Algériens. 60 000 demandes de moins, c'est autant de familles qui sortent de cette situation. Multiplié par cinq (la moyenne des membres d'une famille algérienne), c'est plus de 300 000 personnes qui n'ont plus besoin de l'aide de l'Etat. Mais aux chiffres, on peut faire dire tout et n'importe quoi. Les réalités du terrain sont parfois surprenantes et les voies des études statistiques impénétrables. L'année dernière, la presse nationale relevait avec effarement le nombre d'indus bénéficiaires des couffins de Ramadhan. Au 31 décembre de la même année, l'opération d'assainissement des listes des bénéficiaires du filet social, lancée par le ministère de tutelle, révélait que 10% d'entre eux étaient des indus bénéficiaires. Ainsi, combien de personnes sans scrupules se sont fait passer pour des nécessiteux ou des handicapés afin de bénéficier d'une aide à laquelle elles n'avaient pas droit ? Combien de fonctionnaires véreux ont participé à ce vol au détriment des familles qui peinent réellement à trouver pitance ? Alors, les 60 000 demandes d'aide en moins pourraient en fait refléter celles incluses dans les plus de 120 000 retirées des listes des bénéficiaires du filet social, ou alors celles fictives que les agents d'administration ou des collectivités locales ont craint d'ajouter cette année sur les listes ou encore des familles qui ont trouvé un autre moyen de passer le Ramadhan. En termes de chiffres encore, le ministère de la Solidarité informe que, pour l'opération 2010, plus de 1,25 million de personnes démunies bénéficieront de prise en charge. A raison de 5 000 DA le couffin, l'enveloppe globale réservée à l'opération et annoncée par les responsables serait de 3 milliards de dinars, soit 30 millions d'euros. Il faut dire que le ministère de la Solidarité n'y est pas allé de main morte. Il ne s'est pas contenté de la simple distribution des couffins -rappelons que, pour des considérations d'amour-propre, il était prévu que, cette année, les bénéficiaires recevraient des chèques de 5 000 DA au lieu du couffin, mais y a greffé plusieurs autres opérations. Quelque 500 restaurants ouvriront leurs salles aux personnes démunies et aux gens de passage. Avec l'aide du Croissant-Rouge et des scouts musulmans, ces lieux de bienfaisance distribueront des repas chauds sur place ou à emporter pour les personnes qui s'y rendent avant l'appel à la rupture du jeûne. Mais, loin des officiels et des organismes structurés, il faut saluer les initiatives individuelles des âmes charitables. Il est heureux de constater que le peuple, malgré les aléas de la vie, a gardé son sens de la solidarité, du partage et du don de soi. Au moment où des gens s'évertuent à trouver la meilleure façon d'augmenter leur profit durant ce mois de la consommation où spéculer et tricher sont devenus un sport national, d'autres se dévouent matériellement, physiquement et moralement pour les moins bien lotis. Dans ces actions de bienfaisance, on notera que 10 000 bénévoles se sont impliqués dans les restaurants pour les nécessiteux. A titre gracieux, ces bienfaiteurs proposent d'ouvrir leurs salles à titre gracieux pour accueillir les démunis d'un jour ou de toujours. Il s'agit donc de propriétaires de restaurants profitant de cette période creuse pour la profession ou faisant preuve de civisme tout simplement. Au lieu de fermer boutique durant un mois, ces commerçants préfèrent nourrir, gratuitement, les citoyens de passage ou ceux qui n'ont pas les moyens de s'offrir chaque soir un repas chaud. Une pensée particulière pour tous les célibataires masculins qui travaillent loin du domicile familial. Notons que, rien qu'en matière de restauration, toutes formules confondues, le ministère estime à 5 millions le nombre de repas qui seront offerts pendant le mois sacré. Toutes ces opérations qui représentent la solidarité Ramadhan sont organisées ou chapeautées par le ministère de tutelle. Une action d'envergure qui a nécessité la mise en place -c'est une première cette année- de la commission intersectorielle chargée de son organisation. Notons que le Ramadhan n'est certainement pas un mois comme les autres. Si beaucoup se focalisent sur les plaisirs de la table durant les quatre semaines que dure le jeûne, le message de ce qui est censé être l'une des fêtes religieuses les plus étalées dans le temps, est loin de s'adresser aux estomacs. L'un des enseignements à tirer de ce mois est que la faim et la soif sont des sensations désagréables qu'il faut bannir. Grâce à cette période de l'année, normalement, les plus aisées des personnes se mettent, le temps d'une apparition du soleil au même rythme de consommation que les démunis pour que naisse l'esprit de solidarité. Mais, en Algérie, au lieu que le riche se mette au niveau du pauvre, parfois c'est l'inverse. On s'endette pour passer le Ramadhan. On cède à la frénésie de la consommation irréfléchie et ininterrompue. Et finalement, heureusement qu'il y a des lieux où la vraie solidarité existe.