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La passion de l'Algérie à travers l'abnégation et le dépassement de soi
Kamel Bouchama, ancien ministre, ambassadeur, haut cadre du FLN et talentueux homme de lettres
Publié dans La Tribune le 28 - 08 - 2010


Photo : Riad
Par Sihem Ammour
Kamel Bouchama‚ natif de Cherchell, ancien «médersien», élève du prestigieux lycée franco-musulman de Ben Aknoun‚ milite très jeune dans les rangs de la section universitaire du FLN (la SU-FLN). Au fil des années, il occupera d'importants postes au sein du parti et de la jeunesse, avant de devenir ministre puis ambassadeur. Reconnu pour son sérieux et l'excellence de son travail, il sera récipiendaire de prestigieuses distinctions internationales, dont la médaille du Mérite de la République arabe syrienne - option excellence -, la plus la plus haute distinction de l'Etat syrien, ainsi que les médailles de la Paix des directions politiques d'URSS et de Bulgarie. Véritable homme de lettres, il est également l'auteur de plus d'une quinzaine de livres principalement sur l'histoire. Parmi les caractéristiques de cet homme exceptionnel au riche parcours, on peut citer l'amour du travail bien fait, le dépassement de soi, la discipline, la rigueur
et l'esprit d'initiative galvanisé par une perpétuelle fougue créatrice. Une fougue juvénile, qui s'exprime à travers notamment sa gestuelle et ses paroles lorsqu'il remonte le fil de ses souvenirs pour nous parler de sa prime enfance et retrouver les ingrédients à la base d'une forte personnalité au caractère bien trempé. Ainsi, très jeune, il avait le goût du dépassement de soi, de la découverte, de l'initiative et de celui de créer de ses propres mains. Il confie à ce propos : «Depuis mon jeune âge, dés l'école primaire, je me sentais comme un être un exceptionnel, un enfant qui sortait de l'ordinaire, je n'ai jamais voulu accepter les choses faciles et toutes faites. J'ai créé mon propre environnement, ma façon de travailler. Sans fausse modestie, je vous assure, qu'en classe, les autres se disputaient la 2éme place, car j'étais toujours le premier.» Il ajoute que le sens de la persévérance, il l'a eu très jeune notamment grâce au sens de la collection à l'instar de celle des vers à soie. Kamel Bouchama souligne également : «Souvent, une fois rentré à la maison, je bricolais toujours quelque chose. Ainsi, avec un pot de fleurs, des fils électriques, du papier crépon que je transformais en rose, je construisais une jolie lampe originale. On récupérait aussi les feuilles blanches des cahiers en fin d'année pour en faire des petits carnets sur lesquels on écrivait nos poésies préférées. On avait vraiment le sentiment de créer quelque chose, ce qui nous poussait à aller de l'avant et de prendre des initiatives.» A cette époque, en pleine guerre de Libération, le jeune écolier Kamel, issu d'une famille de nationalistes, se levait à l'aube tous les jours pour aller à la méderssa ou l'école arabe, dès 6 heures, avant de se rendre à école française. Il retournait en fin de journée à la méderssa. C'est là qu'il découvre l'emblème national et s'imprègne de l'amour de la patrie et de la liberté.
L'excellence, leitmotiv du jeune médersien
En pleine révolution algérienne, être excellent en tout est une forme d'engagement. Bouchama confie à ce propos : «Dans ces épreuves difficiles on est obligés de se former et d'être le meilleur !» Il fera partie de l'élite de quelques centaines d'élèves qui seront sélectionnés à travers le pays pour poursuivre des études au prestigieux Lycée franco-musulman de Ben Aknoun (lycée Amara-Rachid).
Se remémorant cette époque, l'ex-ministre explique : «Il y avait la qualité de l'enseignement et il fallait relever le défi qui était en chacun de nous. Le dépassement de soi était aussi une forme de discipline. Il s'agissait de démontrer que l'on excellait autant dans la maîtrise des connaissances en langue arabe que dans la langue du colonisateur. Nous avons pu réunir sans problème ces deux cultures et on avait d'excellents résultats.»C'est avec fierté qu'il mettra en exergue le fait que beaucoup de hauts cadres algériens qui ont occupé des postes de chef de gouvernement, de ministres, d'ambassadeurs, de P-DG, d'universitaires et professeurs émérites ont tous fait partie de ce prestigieux lycée, surnommé par les forces coloniales «le nid de vipères», tant la majorité des étudiants étaient entièrement dévoués à la cause nationale. Ce lycée compte un nombre «éloquent» de chouhada, parmi les jeunes qui ont rejoint l'ALN et le FLN à partir de 1956 ou bien avant.Au Lycée de Ben Aknoun, le jeune Bouchama fera lui aussi ses premiers pas dans le militantisme. Avec d'autres camarades, il participera à la création de la section universitaire du FLN. A ce propos, il souligne : «On a essayé, à notre manière, d'apporter notre aide à la révolution. On entrait dans les pharmacies avec de faux bandages afin de récolter le maximum de médicaments, pansements, mercurochrome, poudre sulfamide, seringues, etc. pour les envoyer au maquis. On distribuait aussi des tracts et faisait le guet pour des opérations délicates, on avait même réussi à fabriquer des postes radio que l'on appelait des postes à Galène pour suivre les informations et les envoyer à ceux qui en avaient le plus besoin. Enfin, on faisait ce qui était en notre possibilité et quelquefois plus. C'est tout cela qui fait que l'on ne peut pas se détacher facilement d'une cause nationale pour laquelle on s'est battu et investi corps et âme.»
De la cellule du FLN au gouvernement, puis Damas
Après l'indépendance, Kamel Bouchama contribue au lancement de l'Unlca (Union nationale des lycéens et collégiens d'Algérie), ensuite de la JFLN (Jeunesse du FLN), aux côtés de jeunes militants qui venaient directement des maquis et des prisons. Il poursuit ensuite des études supérieures à l'université du Caire. De retour en Algérie, il reprend en main la JFLN et s'inscrit au FLN. Grâce à ses nombreuses qualités humaines, dont son engagement et sa rigueur dans le travail, il réussit à gravir les échelons de la responsabilité dans les deux structures, la JFLN et le FLN. Il sera commissaire national du parti, le plus jeune du pays, à El Asnam, aujourd'hui Chlef et ensuite à Bouira. Il sera membre de la direction du parti à Alger et y restera jusqu'à devenir membre du secrétariat permanent du comité central du FLN‚ ministre de la Jeunesse et des Sports et ensuite ambassadeur à Damas. Il se plaît à répéter qu'il n'a jamais été parachuté aux postes de responsabilité, mais qu'il a gravi l'escalier, marche par marche…Aujourd'hui, lorsqu'on l'interroge sur ses sentiments après son départ du gouvernement, il répond : «J'ai pris les choses très normalement, je vous assure. D'ailleurs, pendant que j'étais en poste, je savais qu'un jour on me signifiera cette fameuse décision : appelé à d'autres fonctions.»Il ajoute : «Franchement, j'avais plutôt un bilan positif. Je pense avoir été très concret dans ma vie de responsable, j'ai donné le maximum. Ceux qui m'ont approché de près connaissent mon engagement, ma volonté, mon esprit d'initiative et le fait de toujours tenir mes promesses.»En, effet à sa sortie du ministère, Kamel Bouchama avait laissé un bilan impressionnant avec notamment la création de nombreux parcs omnisports, de centaines de maisons de jeunes, de plus de 6 000 aires de jeux au niveau de tout le territoire national, devenus aujourd'hui des terrains vagues ou des aires de stockage, à cause d'un manque de soins et de continuité, malheureusement, un palmarès élogieux de médailles, la dynamisation du sport de masse et du sport de performance, des programmes importants pour les jeunes, dont le fameux programme national de la jeunesse, la politique pour l'emploi des jeunes – reprise par la suite par le ministère du Travail – et cette politique nationale du sport qui n'a pas eu également l'intérêt qu'elle méritait.
Déception et ingratitude
Avec une pointe d'amertume, ce haut cadre de l'Etat ajoute : «Sincèrement, ma grande déception était dans l'attente d'un nouveau poste qui m'avait été promis après ma sortie du ministère. L'autre grande déception est quand on m'avait signifié de quitter mon poste d'ambassadeur à Damas.»Il tient à expliquer ses déceptions pour éviter les malentendus : «Pour ce qui est de la nouvelle mission que j'attendais – et c'était légitime, j'étais encore très jeune, sur mes quarante ans –, ce sont des génies malfaisants qui en ont voulu autrement. C'était ceux-là mêmes qui entouraient le Président et lui présentaient des informations autres que celles qu'il devait entendre. Quant à la seconde grande déception, elle n'était pas sujette à ma mise de fin de fonction – cette dernière, je l'ai acceptée le plus normalement du monde, étant considéré comme un ‘‘intrus dans le jardin des AE'' –, elle l'était beaucoup plus à cause de la manière cavalière par laquelle mes responsables m'ont informé de ce départ inopiné. Mon ministre d'alors, qui se prétendait être un ami, a préféré me signifier cette décision par le biais du standardiste du ministère des Affaires étrangères. Du reste, il ne m'a jamais entretenu sur cette décision. La fuite en avant, quoi ! Triste sort que celui d'un cadre algérien !» Aujourd'hui, il considère tout cela comme du passé, et préfère oublier : «Ces situations scabreuses formatées par des personnes qui se disent hauts cadres de l'Etat.» Et d'ajouter que sa plus grande récompense a été la gratitude affichée par tous ces citoyens connus ou anonymes qui, lorsqu'ils le croisent dans la rue, ont toujours un mot de considération ou de remerciements à son égard.Depuis quelque temps, il se consacre pleinement à ses deux grandes passions, l'écriture et la sensibilisation de la jeunesse à des sujets de fond.
L'écriture, violon d'Ingres et une passion prolixe
A propos de l'écriture, il tient à préciser : «Je n'ai pas fait contre mauvaise fortune bon cœur, absolument pas. J'écrivais depuis longtemps, car j'ai le plaisir à partager avec les autres ce que je sais et je n'écris que parce que j'ai des choses à dire. Déjà écolier, je me voyais en tant qu'écrivain, le maître d'arabe nous avait demandé de confectionner une revue d'enfants, et c'était une véritable grande joie pour moi d'y voir publier plusieurs de mes écrits.» Il fait remarquer que ses premiers écrits datent des années soixante-dix, où il a signé de sa plume des articles aux côtés de Tahar Djaout et tant d'autres grands noms.C'est dans le journal l'Unité, relayé par Echabab qu'il publie sa première nouvelle intitulée Ciel sombre, ainsi que de nombreux autres articles sur les problèmes sociaux. Dans El Moudjahid en langue nationale, il a publié un florilège d'études socio-historiques. Dans Révolution africaine, aux côtés de Kheireddine Ameyar et Kamel Zemmouri et tant d'autres, il a écrit de nombreux reportages retentissants.
Fidèle à ses principes : poursuivre le don de soi
Concernant son intérêt pour la sensibilisation de la jeunesse, il explique : «J'ai cette envie de communier avec les jeunes, de les contacter là où ils se trouvent afin de les sensibiliser, de les éduquer et pourquoi pas de les mobiliser autour d'objectifs concrets.» Il relève toutefois certains dysfonctionnements de ce secteur de la jeunesse : «Je déplore cette intervention d'un des responsables qui avait dit ‘‘nous allons mobiliser la jeunesse algérienne par le biais de l'équipe nationale !''. J'aurais souhaité qu'il soit plus responsable en respectant ceux qui l'ont précédé dans cette mission et qui, sans prétention aucune, ont de l'expérience dans le domaine de la mobilisation. Qu'il respecte aussi ses autres collègues du gouvernement qui sont en charge de la jeunesse, ceux de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur, de la culture, du travail, et qui font, plus qu'il n'en pense, en tout cas le maximum pour la mobilisation. Quant à sa ‘‘mobilisation'', et de cette manière, elle est identique à un ciel moutonné qui ne dure pas longtemps.» Il affirme avec conviction que dans le climat difficile et délétère dans lequel nous vivons, il faut œuvrer, chacun dans son domaine, même à travers de petites choses, afin de semer sa petite graine d'excellence.Il s'exclame à ce sujet : «Dans le règne de la médiocrité doit-on croiser les bras, se taire et être égoïste et dire ‘‘La Mecque à un Dieu qui la protège''. Au contraire, on doit faire preuve d'abnégation et suivre l'exemple de l'adage qui dit : ‘‘A défaut d'être un astre dans le ciel, soyez au moins une lampe a pétrole à la maison''.» Pour conclure, Kamel Bouchama estime qu'il reste toujours fidèle à ses valeurs. Aujourd'hui, il «sillonne le pays, toujours dans le même esprit de donner, d'éduquer, de sensibiliser à travers mes ouvrages ou mes conférences. J'écris beaucoup et je contribue à ma façon à éveiller les consciences […] je pense apporter cette lueur d'espoir et ce vent de fraîcheur en ces moments maussades. Ainsi, je contribue à ma façon à la construction de mon pays, continuellement, positivement, en espérant faire œuvre utile. Le pays demande aujourd'hui plus de sérieux et de positif pour sortir de la crise multiforme dans laquelle il se débat... Il faut franchir le Rubicon. C'est la seule chose qui nous reste. En attendant cette décision salvatrice des hommes sages, je reste positif en contribuant sincèrement
à tout ce qui peut donner quelque chose de sain et de beau à ce beau pays qui nécessite toute notre attention.»


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