Photo : Mohamed Rahmani De notre correspondant à Annaba Mohamed Rahmani En 2001, la reprise du complexe sidérurgique d'El Hadjar par l'indien Ispat s'était faite dans l'enthousiasme, dans le cadre de la politique de privatisation tous azimuts consacrant le désengagement de l'Etat de certains secteurs. Les conditions et le contexte dans lesquels les pouvoirs publics avaient cédé 70% du capital de l'ex-SNS n'étaient pas du tout favorables à la négociation et on peut aujourd'hui affirmer sans conteste que le fleuron de l'industrie sidérurgique maghrébine avait été bradé, ce qui conforte certains dans leur position de défenseurs de la chose publique et qu'on avait qualifiés alors de «socialistes résiduels».Aujourd'hui, près de dix ans après la signature du contrat de reprise, la situation du complexe sidérurgique n'est guère reluisante et aucun signe n'augure une amélioration qui pourrait sortir définitivement l'usine de la zone de perturbations qu'elle traverse depuis quelque temps. En effet, un petit aperçu sur le bilan de ce partenariat ou, comme on se plaît à l'appeler, investissement direct étranger (IDE) montre que les engagements pris lors de la reprise n'ont pas du tout été respectés, le groupe ArcelorMittal ne cherchant qu'à faire des bénéfices tout en profitant des avantages fiscaux et parafiscaux accordés par l'Etat algérien ainsi que des prix préférentiels de l'énergie mise à disposition et de certaines facilités auxquels des entreprises nationales n'ont pas accès. Ces faveurs étaient censées maintenir les investissements existants, encourager et en attirer d'autres pour juguler la crise que traversait le pays et créer des milliers de postes d'emploi permanents. Le «savoir-faire» du repreneur s'est limité au management soutenu par une gestion pas aussi rigoureuse qu'on veut bien le faire croire puisque les scandales qui ont secoué le complexe ne se comptent plus. Ce qui est sûr, c'est que la productivité et la rentabilité des installations datant de 1969 ont atteint un seuil au-delà duquel on ne peut aller, au vu des moyens mis en œuvre. Ce qui arrange beaucoup l'employeur puisque les salaires octroyés sont bien en deçà de ceux pratiqués dans les autres sites du groupe où la fiche de paie de l'ouvrier étranger est 7 à 8 fois supérieure, soit un même niveau de production à un coût moindre. En dehors de cet aspect, l'emploi au niveau du complexe a connu une baisse vertigineuse, passant de près de 12 000 travailleurs à exactement 5 400 aujourd'hui. «Tous les travailleurs partis à la retraite depuis 2001 n'ont pas été remplacés, nous déclare le secrétaire général du syndicat d'entreprise ArcelorMittal, Smaïn Kouadria. Et il y a encore un plan social dans les tiroirs de la DRH qui prévoit le départ de 1 200 autres travailleurs, et si cela venait à se concrétiser - ce qui ne se fera jamais tant que je suis à la tête du syndicat -, l'usine comptera 4 200 travailleurs, ce qui voudra dire qu'on aura réduit le nombre de près de 3/4. Avec cela, on veut maintenir le niveau de production et même l'augmenter, cela relève de l'impossible.» D'un autre côté et toujours sur le plan de l'emploi, les entreprises de sous-traitance algériennes qui gravitaient autour du complexe sidérurgique se sont trouvées concurrencées par d'autres, étrangères celles-là, et qui avaient décroché des contrats mirobolants et très avantageux. Grand Smithy Works, une entreprise indienne de récupération de déchets ferreux, livrait cette matière première qu'elle facturait au prix fort à l'usine, comme si les PME locales ne pouvaient s'acquitter de ce travail qui ne nécessite pas, et sans ironiser, la maîtrise d'une technologie supérieure. Non seulement cette entreprise avait profité des largesses des décideurs du complexe mais elle en est venue jusqu'à arnaquer le complexe en lui livrant ses propres déchets pris dans le crassier et ce, avec la complicité de gardes, de facturiers et de responsables algériens que les patrons de l'entreprise avaient corrompus. Le transfert de devises se faisait via les cambistes clandestins de la rue Gambetta à Annaba dans les valises et passait à Londres. Efes, une entreprise turque des transports, est, elle aussi, venue faire fortune à El Hadjar en décrochant un contrat et en contractant des prêts auprès de banques, toutes algériennes, pour l'acquisition de camions de transport. «De sa propre huile, on le fait frire», comme l'illustre bien ce bon vieux proverbe tout aussi algérien. Lors de la signature du contrat de reprise en 2001, Ispat avait pris l'engagement d'investir sur les dix années qui suivaient 175 millions de dollars qui devaient aller au renouvellement des installations, à l'amélioration des conditions de travail, à la formation et à la sécurité. Aujourd'hui, soit neuf années plus tard, le groupe ArcelorMittal n'a consenti que près de la moitié de ce montant et ne veut plus entendre parler d'investissements. Pour preuve, jusqu'à aujourd'hui et après neuf mois, la cokerie est toujours à l'arrêt et la décision de sa rénovation ou de son renouvellement n'a pas encore été prise. On va d'expertise en expertise, sans plus, malgré l'engagement du groupe Sider, détenteur de 30% du capital, à contribuer à cette opération.Lors d'une récente déclaration, le directeur des ressources humaines au complexe sidérurgique d'El Hadjar, Daniel Atlan, avait critiqué la productivité au sein de l'usine en déclarant que le complexe ArcelorMittal de Dunkerque (France), avec un nombre d'ouvriers se situant autour de 5 000, produit 7 millions de tonnes alors qu'El Hadjar produit 7 fois moins avec un effectif supérieur. Ce que M. Atlan omet de dire, c'est que le complexe de Dunkerque est entièrement automatisé et dispose de moyens et d'une technologie bien supérieure à celle du complexe d'El Hadjar dont les installations sont vétustes. «Et si le complexe continue malgré tout à tourner, c'est grâce au savoir-faire des Algériens et à leur travail, ce partenariat ne nous a rien ramené, bien au contraire et je suis d'avis que l'Etat reprenne le complexe à hauteur de 51%», conclut M. Kouadria.