Parmi les effets, les restes, les séquelles, comme l'on dit, du colonialisme, existe un effet, un reste, des séquelles dont on parle peu qui existent cependant : les méfaits de la bêtise coloniale qui ont atteint assez directement le champ ouvert de la culture et de la civilisation. Penser – panser – la bêtise qui fait, a fait tant de mal dans la culture et les sociétés.Bêtise qui nous revient sous les formes de l'éradication, de l'intolérance – on pourrait employer, ici, à la place de ce mot «intolérance» le mot de «bêtise», la bévue, l'énorme bêtise – la bêtise qui a conduit, si l'on pense à la politique coloniale française, à démettre les habitants, les Algériennes, les Algériens, de leur culture, qu'elle fût musulmane, arabe, berbère, juive, hébraïque, au profit d'une tentative de monoculture par la langue, la religion, l'exclusion, par omission et refus de la laïcité qui existait en France. Omission et refus qui ont fait de l'Algérie le territoire des retrouvailles avec le christianisme, non pas les retrouvailles du christianisme, de l'islam, du judaïsme, ce qui aurait été beaucoup plus souhaitable et judicieux.Malheureusement, cette bêtise-là qui a conduit à la marginalisation des cultures juive, arabe, berbère est en train de se reproduire aujourd'hui en Algérie, alors que l'Europe, confrontée aux présences dites «autres», traces et développements, existences des histoires antérieures et contemporaines, essaie de franchir avec beaucoup de difficultés, régressions, législations, les séquelles de sa propre bêtise, énorme bêtise, que l'on peut qualifier de nationalisme étroit, qui conduisit aux guerres nationales de 1914-1918 puis, plus effroyables encore, celle de 1940-1945 ; guerres nationales et civiles dont nous sommes, aujourd'hui, bien malgré nous et à cause des mésestimes reçues et réinventées, les héritiers.Pour qui, pourquoi, faudrait-il, aujourd'hui, démolir des églises – les synagogues, c'est déjà fait – pour se sentir citoyen, algérien à part entière, heureux chez soi, si l'on peut, et privé d'intelligence ? Pourquoi ne pas préférer être soi, intelligent, heureux, sans avoir à nier, détruire son semblable ?Ce n'est pas parce que la bêtise coloniale eut lieu que le racisme a lieu, existe, que l'on doit accepter et en suivre les effets. Se prémunir de la bêtise devrait être un choix personnel et étatique, éducatif, idéologique, cultuel, délibéré et affirmé.Devrions-nous exiger un ministère de la bêtise pour y échapper ?Au moment où la Turquie, par exemple, autorise, encore petitement certes, d'une façon à peine avouée, une messe pour les Arméniens, certains procureurs en Algérie devraient se consacrer à plus d'intelligence de pensées et de droits que de pourchasser des jeunes qui ne jeûnent pas, et les walis devraient être beaucoup plus préoccupés par la construction d'écoles, collèges, lycées qu'à envisager la démolition d'une église dont le seul «archaïsme», «péché», est d'être un abri, un refuge, un lieu, précisément, possible pour méditer ensemble contre la bêtise, son héritage si néfaste et, nous, ses héritiers.Ne serait-il pas venu le temps de sortir de la bêtise coloniale ? N. F. *Psychanalyste