Durant des années après l'Indépendance, tout ce qui relevait du domaine des biens de l'Etat algérien naissant était désigné sous le vocable de “beylek”. Dans l'esprit du citoyen, historiquement non accoutumé avec la notion moderne de l'Etat, car pendant des siècles et successivement le pays “a été le théâtre de plusieurs évènements dépendant de l'extérieur”, disait Tahar Djaout, ce vocable signifiait plutôt des espaces libres sur lesquels tout un chacun croyait s'accorder un droit personnel accaparant d'exploitation, d'appropriation et même de désaffection. L'attitude est pour le moins assez étrange ! D'où proviendrait alors ce comportement d'indifférence face à un bien commun enfin et chèrement reconquis ? À y voir de plus prêt, le vocable “beylek”, qui semble être un mot composé, désigne un rang ou un grade dans l'organisation hiérarchique turque appelée le beylicat. Or, nous savons que cette trame administrative et politique beylicale a été appliquée à l'Algérie pendant l'occupation coloniale ottomane trois siècles durant. Dès lors, tout ce qui relevait du pouvoir central turc était perçu, par les autochtones, comme étant une propriété déconsidérée et désignée sous le vocable évident de “beylek”. L'usage de cette appellation s'est ensuite prolongé durant la colonisation française. On est tenté de détecter à travers cette attitude une probable forme de résistance et de rejet, par les Algériens, de tout ce qui pouvait symboliser l'occupation ottomane puis française. Cela pour la réalisable clarification historique de l'origine et de la signification orientée du vocable. Le reste nous semble plus intéressant à disséquer. En effet après l'Indépendance, la continuité de l'évocation de l'idée du “beylek”, mais surtout la libre interprétation induite et connotée de la notion de biens publics, a engendré des séquelles et des répercussions négatives à l'égard de ceux-là. L'idée a nettement évolué vers un sens très symptomatique de la déconsidération des espaces étatiques (routes, places publiques, espaces verts, terrains vagues, etc.). Même les lieux directement collectifs, relevant des copropriétés (habitations, cages d'escalier, placettes des cités et autres parkings) ne sont pas épargnés. C'est dire que la persistance de cette indolence et ses contrecoups, qui ont grandement affecté et détérioré notre environnement général, sont devenus, hélas, une culture routinière de l'abandon et du délaissement, maintenant incrustée dans le tissu social. C'est là une réalité malheureusement vérifiée et vérifiable mais non fatale pour peu qu'on vienne à bout de la culture du vocable “beylek” par les moyens de l'éducation civique moderne et de l'intransigeance des structures étatiques en charge de la protection des biens communs. A. A. [email protected]