Israël ne veut pas la paix mais s'en sert pour gagner du temps et poursuivre sa stratégie d'occupation, de colonisation, profitant des divisions chroniques des rangs palestiniens et de l'impossible front arabe au sein de la Ligue fossilisée et sans raison d'être.La majorité des observateurs sont unanimes à constater que la reprise des pseudo-négociations entre un Israël fort, homogène et disposant d'une vision claire de son devenir et de ses objectifs, et une Autorité palestinienne, sans légitimité populaire, faible politiquement et tiraillée par les divergences, ne peut que servir les desseins de Netanyahu. Ce dernier a obtenu ce qu'il voulait en imposant ses conditions préalables qui sont la poursuite de la construction des colonies en Cisjordanie et à El Qods-Est. L'Autorité palestinienne a accepté de reprendre les négociations alors que le délai du gel provisoire des colonies juives allait expirer. Cet engagement de Mahmoud Abbas révèle sa position très affaiblie au sein de l'OLP et sa fuite en avant face à une réalité incontournable.La meilleure réponse de Mahmoud Abbas à la situation de blocage programmé du processus de paix engagé en 1993 aurait été de se démettre d'autant plus que son mandat a expiré depuis longtemps. En se maintenant sans légitimité à la tête d'une autorité sans pouvoir, y compris sur Ghaza, Mahmoud Abbas sert d'alibi aussi bien à Israël qui préfère avoir un président faible qu'à l'Occident qui, à travers son soutien factice à la personne de Mahmoud Abbas, renie le droit des Palestiniens à choisir leurs élus et entretient le mythe d'une paix impossible entre un peuple dépourvu d'une représentation forte et un Etat qui refuse de faire toute concession tout en exigeant d'un peuple sous domination qu'il renonce à tous ses droits nationaux.Abbas et ceux qui l'ont encouragé à reprendre les négociations pourtant factices savaient que le moratoire décidé fin novembre 2009 ne concernait que de nouvelles implantations mais pas les milliers de chantiers engagés auparavant. Les destructions des maisons palestiniennes dans la vallée du Jourdain ou le Néguev se poursuivent. En pleine «négociation», les autorités israéliennes ont délivré 42 autorisations de destruction dans le nord de la vallée du Jourdain. Et le pouvoir israélien ne s'en cache pas. Le ministre des Affaires étrangères d'extrême droite, Avigdor Lieberman, a déclaré cyniquement que ces rencontres étaient un événement «festif». «Il peut en effet se réjouir de cette mise en scène permettant à Israël d'engranger les fruits de la politique du fait accompli tout en avançant dans le projet d'un État juif ethniquement pur, qui entraînerait de facto le transfert des Palestiniens citoyens d'Israël et le déni du droit au retour pour les réfugiés», lit-on dans une réflexion de Julien Rivoire sur un site Internet. Si Mahmoud Abbas savait tout cela, pourquoi s'est-il engagé dans une impasse prévisible ? Pour J. Rivoire, «du côté de l'Autorité palestinienne, personne n'ose dire que ces rencontres sont source d'espoir. La duperie a des limites que les renoncements successifs du président de l'Autorité, Mahmoud Abbas, ont atteintes. Ce dernier a déclaré qu'il devait poursuivre les négociations, même si les chances de réussite étaient de 1%. Cet entêtement n'est pas de la naïveté, mais le résultat de sa politique. Son pouvoir est conditionné à la manne internationale finançant les 160 000 salaires de l'Autorité palestinienne. Mais c'est surtout la stratégie de soumission aux impératifs sécuritaires des États-Unis et d'Israël qui conduit l'Autorité palestinienne dans l'impasse de ces négociations avec renoncements». Mahmoud Abbas a incarné le rôle de gendarme domestique depuis «la rébellion» de Hamas à la suite du limogeage de Smaïl Hania qui a néanmoins maintenu dans les faits un gouvernement parallèle à Ghaza. Le Hamas, qu'on accuse de terrorisme pour le discréditer aux yeux de l'opinion internationale, est présenté comme la menace majeure contre la sécurité d'Israël et, à ce titre, est exclu de toute consultation inter-palestinienne qui d'ailleurs est réduite à la seule organisation de Abbas, en l'occurrence le Fatah, elle-même discréditée aux yeux de la majorité des Palestiniens. Dans ce contexte de crise, la Ligue arabe, coquille vide, se réunit à chaque échéance que décide Washington sur le dossier moyen-oriental, pour cautionner les propositions du tandem Moubarek-Abdallah II qui ne servent que les visées américaines. A ce propos, Rivoire estime qu'«Obama cherche à gagner du temps et à redorer son blason sur la scène internationale à défaut de répondre à la crise économique de son pays. Les gouvernements égyptien et jordanien veulent donner l'illusion des leurs capacités à travailler pour les droits des Palestiniens». Les élections auxquelles ces trois pouvoirs seront confrontés dans les semaines à venir expliquent leurs comportements faussement candides. Mais un autre objectif mobilise les États-Unis et leurs alliés. Le concert de louanges sur les pourparlers actuels permet d'engager une période de gestion du cas palestinien, sans rien céder sur leurs droits. Cette mascarade est au final une victoire pour Israël. Elle lui permet de poursuivre son expansion coloniale ainsi que son travail de sape préparant l'instauration d'un État ethniquement pur. Elle permet également l'amélioration de l'image d'un État que son acte de piraterie contre la Flottille pour la liberté et la campagne internationale BDS ont sensiblement écornée. Elle prépare enfin le terrain au programme prioritaire de Tel-Aviv : «s'attaquer à l'Iran et ses alliés». Pour les mêmes observateurs, les négociations en elles-mêmes sont un leurre et ce, au-delà de leurs objectifs avoués qui constituent des pierres d'achoppement et des écueils infranchissables. Un Etat palestinien facile à créer… sur le papier Le statut : un Etat palestinien, au regard de la diplomatie et du droit international, pourrait aisément être institué. L'Autorité palestinienne, cet exécutif proto-étatique établi par les accords d'Oslo en 1993 par Yitzhak Rabin et Yasser Arafat sous l'égide du président Clinton, jouit quasiment d'une représentativité d'Etat au sein des organisations internationales et auprès de nombreux pays. L'étatisation de l'Autorité serait donc rapidement reconnue. Mais il ne faut pas oublier que les Palestiniens sont divisés territorialement, politiquement et administrativement entre la Cisjordanie occupée, régie par l'Autorité palestinienne, et la bande de Ghaza, sous blocus, dirigée par le Hamas qui avait remporté les élections de 2006 et qui ne reconnaît pas la légitimité du gouvernement de Ramallah. Même en ne considérant que l'Autorité palestinienne, unique partenaire palestinien des négociations, un exécutif ne suffit pas à constituer un Etat. Celui-ci incarne avant tout des pouvoirs régaliens.Premier de ces pouvoirs, la sécurité. Or, Israël a posé comme condition préalable aux négociations une démilitarisation du possible Etat palestinien comme garantie de sécurité. La sécurité de l'Etat palestinien se cantonnerait donc à des forces de police, à une sécurité intérieure.Une asymétrie avec Israël que ne goûteront peut-être pas les Palestiniens de l'Autorité, et sûrement encore moins ceux de la rue.Quant au Hamas, il y a fort à penser qu'en cas d'accord à Washington, accord dont il est exclu, il ne cessera pas de s'opposer militairement à Israël, ce qui ostraciserait encore un peu plus le mouvement, le restreignant politiquement à Ghaza, mais délégitimerait aussi l'exécutif de Ramallah. La loi fondamentale de 2002 Etablir le droit est une autre prérogative régalienne. Les territoires palestiniens sont techniquement régis par la loi fondamentale de 2002 (une Constitution aurait établi de fait un Etat), censée établir une démocratie parlementaire. Il existe donc un Conseil législatif, fac-similé d'un Parlement national à même de «dire le droit» dans un éventuel Etat palestinien. Mais encore faut-il que ce droit soit appliqué, c'est-à-dire qu'il y ait une justice indépendante à la fois de l'exécutif et du législatif. Or, le système judiciaire de l'Autorité palestinienne a été montré du doigt pour ses dysfonctionnements et garant ni praticien des droits de l'Homme. Il faut également noter qu'Israël, puissance occupante, superpose son propre système judiciaire en Cisjordanie, y pratiquant si elle le souhaite sa propre loi sous l'argument sécuritaire. Quant à la bande de Ghaza, c'est le Hamas qui y dit et applique sa loi. Enfin, dernier pouvoir régalien : la souveraineté économique et monétaire. Si les économies israélienne et palestinienne sont logiquement imbriquées, la monnaie utilisée du côté palestinien est le shekel israélien. Or, le Premier ministre palestinien Salam Fayyad pousse à la construction pratique d'attributs étatiques à l'Autorité palestinienne.C'est ainsi que Jihad al-Wazir, gouverneur de la Banque centrale de l'Autorité palestinienne, a émis dernièrement l'idée d'une indépendance monétaire avec la frappe d'une devise proprement palestinienne -la livre, à l'instar des livres libanaise et syrienne- et qui serait indexée sur l'euro et le dollar américain.Quid de la bande de Ghaza ? La livre palestinienne y serait-elle introduite, mettant Ghaza, et donc le Hamas, sous contrôle monétaire de Ramallah ? Quel territoire ? Mais la question des pouvoirs régaliens n'est rien, en pratique, sans un attribut fondamental, attribut sans lequel l'Etat n'est pas : le territoire. Et cette question complique toutes les autres.L'Etat palestinien devrait être établi à la fois en Cisjordanie et à Ghaza, ce qui reviendrait à dire que, du fait du contrôle du Hamas sur Ghaza, Ramallah ne contrôlerait pas tout le territoire national… Ce qui déboucherait sur une situation similaire au Liban, où l'Etat n'exerce pas en réalité son autorité sur l'intégralité du territoire. Et la division des pouvoirs complique toujours une donne régionale déjà fort complexe et caractérisée par l'existence de nombreux acteurs non étatiques, phénomène qui favorise la radicalité de toutes parts.Les frontières : les territoires palestiniens dans leur ensemble sont des entrelacs particulièrement complexes. Si la base territoriale de Cisjordanie servant aux pourparlers est l'espace inclus dans la ligne verte (ligne d'armistice de 1948 et servant de démarcation de la Cisjordanie depuis 1967), le mur de sécurité érigé par l'Etat hébreu ne suit pas précisément son tracé, englobant des colonies israéliennes et ce, de façon particulièrement significative autour d'El Qods et vers Naplouse.Mais ni la ligne verte ni le mur de sécurité n'ont valeur de frontière aux yeux du droit international. A l'intérieur même de la Cisjordanie d'ailleurs, la délimitation de celle-ci est d'autant plus complexe que des colonies juives avancées jouissent de routes exclusives interdites aux Palestiniens. Avec ponts et tunnels, la carte de la Cisjordanie est donc bien en trois dimensions. Seule une faible superficie divisée en plusieurs zones discontinues est en fait sous contrôle total de l'Autorité, le reste relevant d'un contrôle double israélo-palestinien. Et le tout est entrecoupé de plus par des zones militaires israéliennes et nombre de colonies. Afin d'assurer une continuité territoriale à l'Etat palestinien, la question de la liaison de la bande de Ghaza et de la Cisjordanie reste également à être résolue, ainsi que celle de son contrôle. Le maintien par exemple du blocus israélien sur Ghaza induirait que l'Etat hébreu détiendrait de facto un droit de contrôle sur les échanges entre les deux territoires palestiniens. La question la plus sensible : les colonies Les colonies : c'est probablement là que réside la question la plus sensible des pourparlers : le devenir des colonies en Cisjordanie, territoire que les colons nomment du nom biblique de «Judée-Samarie».Le démantèlement des quelques colonies de Ghaza par le gouvernement Sharon avait créé une lutte politique très importante en Israël, quand bien même les colons ne s'y comptaient qu'à quelques milliers, c'est-à-dire rien comparé aux centaines de milliers de colons en Cisjordanie (248 000 personnes excluant les parties d'El Qods annexées, 432 000 personnes en les incluant, chiffre de 2004 d'une publication Ceri - Sciences po.).Un retrait total étant politiquement et techniquement impossible pour les leaders israéliens en place, il faut décider de ce que deviendraient alors les colonies.Il est probable qu'un grand nombre de colonies légales soient intégrées au territoire israélien, en tout cas celles qui y sont incluses de fait par le mur de sécurité. Les colonies considérées comme illégales par Israël pourraient être théoriquement démantelées. Mais cela ne serait pas sans provoquer une levée de boucliers gigantesque des colons israéliens, et donc l'effondrement du gouvernement Netanyahou, qui serait alors obligé de se recomposer avec les centristes de Kadima, sans toutefois être sûr de ne pas devoir tout de même faire marche arrière sous pression des radicaux israéliens.Quant aux colonies légales situées au-delà du mur de sécurité, on pourrait imaginer qu'elles soient absorbées par le futur Etat palestinien, mais cela reste fort peu probable vu les motivations idéologiques des colons. On peut aisément imaginer d'ailleurs que les Palestiniens, de leur côté, prévoient de disposer pleinement de ces terres. La question des colonies israéliennes en Cisjordanie est donc le nœud gordien de ces négociations. Rediviser El Qods ? El Qods : c'est une revendication des deux parties : avoir El Qods pour capitale. Israël a annexé unilatéralement la ville trois fois sainte en 1980, annexion considérée comme illégale au regard du droit international. Annexion ou non, la ville est considérée du côté israélien comme la capitale légitime de l'Etat hébreu et abrite la Knesset, le Parlement israélien.L'annexion, puis l'extension des colonies juives à El Qods-Est (partie palestinienne de la ville), autorisée par l'actuel gouvernement, a longtemps laissé penser que le gouvernement Netanyahou ne laisserait sur cette question aucune marge de négociation à l'Autorité palestinienne.Mais le ministre israélien de la Défense, Ehoud Barak, a finalement affirmé la possibilité à la fois de souveraineté palestinienne dans certains quartiers et de création d'un «régime spécial» dans «la Vieille Ville, le mont des Oliviers et la Ville de David». El Qods, capitale d'un Etat palestinien, serait donc techniquement possible…Peut-être, imagine-t-on, sous condition d'une reconnaissance par l'Etat palestinien de la légitimité d'Israël sur les zones revendiquées et du statut de capitale de l'Etat hébreu. Le droit au retour, enjeu crucial Le «droit au retour» : la question est fondamentale, vu la guerre démographique à laquelle se livrent Israéliens et Palestiniens. Les Palestiniens réclament le rapatriement des populations déplacées du fait de la création de l'Etat hébreu. Mais, depuis 1948, les populations déplacées se sont accrues et représentent aujourd'hui une masse démographique considérable.Ainsi, si l'on exclut les personnes déplacées internes à Ghaza et en Cisjordanie, la somme des réfugiés palestiniens rien qu'en Jordanie, en Syrie et au Liban représente près de 2,9 millions de personnes, selon les comptes de l'UNRWA, l'agence de l'ONU chargée des réfugiés palestiniens. Or, la population actuelle des territoires représentait en 2009, selon l'Ined, 3,9 millions de personnes. Le retour des seuls réfugiés du Proche-Orient doublerait donc quasiment la population palestinienne, atteignant 6,8 millions de personnes, chiffre qui pourrait rapidement atteindre celui de la population israélienne (7,6 millions, chiffre Ined, 2009) en ajoutant les Palestiniens vivant en dehors du Proche-Orient.Vu la contiguïté des territoires israéliens et palestiniens, ainsi que la convoitise territoriale à des fins d'implantation et d'exploitation, ou bien encore la question des ressources en eau, il n'y a rien d'étonnant à ce que le sujet soit un point de blocage historique du processus de paix.Les dossiers sont donc sensibles et bien connus des protagonistes. Si les leaders israélien et palestinien, ainsi que leurs parrains américain, jordanien et égyptien, souhaitent des avancées notables -voire un accord historique- cela ne dépendra donc que des volontés politiques de chacun à les accomplir. A. G.