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Bentobal raconte «la trahison égyptienne»
Un chapitre de ses mémoires a été publié sur la toile
Publié dans La Tribune le 31 - 10 - 2010

Dans un des chapitres de ses mémoires, intitulé «carences et fléchissements», publié sur la toile, Lakhdar Bentobal est revenu sur l'affaire Lamouri. Bentobal révèle que dans le COM de l'Est, chacun des responsables conservait ses forces. Ainsi, il n'y a jamais eu, dans les faits, de commandement unifié et le wilayisme prenait toujours le pas sur une véritable armée ou sur une quelconque organisation centralisée. Des dissensions sont apparues qui ont vite éclaté en conflit. Il a fallu se résoudre à dissoudre cet organe et tous ses membres furent éloignés. «La plupart restèrent disciplinés et respectèrent la décision. D'autres, comme Lamouri et Mostefa Lakehal, qui s'étaient trouvés éloignés au Caire pour des motifs différents, ont commencé à prendre des contacts avec les étudiants algériens. Ils s'étaient mis à faire du travail de sape et à mener une campagne de dénigrement contre le GPRA». Le Deuxième bureau égyptien s'était servi d'eux ainsi que Abdelkrim El Rifi. Ce dernier incitait à se rebeller contre le gouvernement des politiciens. Il visait Ferhat Abbas et les responsables de la délégation du FLN au Caire. Il visait aussi Lamine Debaghine. «Mais ce n'est pas l'action de Abdelkrim qui avait été déterminante dans la matérialisation du complot ; c'est celle du Deuxième bureau égyptien qui était entré en contact direct avec Lamouri et Mostefa Lakehal». Il avait organisé des rencontres entre eux et Fethi Dib, chargé des affaires algériennes au sein des services de renseignements. Pour Bentobal, les Egyptiens qui n'étaient pas au fait des particularismes algériens et des dissensions nourries par le wilayisme, avaient déduit des critiques que faisaient leurs interlocuteurs en parlant du kabylisme de Krim et de Mohammedi que le GPRA était hostile à l'arabisme et au nationalisme nassérien. Ils avaient senti, en prenant connaissance de la plate-forme de la Soummam, que la révolution algérienne avait une coloration marxiste. «Il ne s'agit pas là de spéculations sans fondements, ce sont des propos qui avaient été tenus à la délégation du Caire, à Lamine Debaghine et à Mehri et que nous avons nous-mêmes entendus». Ayant peur que la révolution algérienne ne leur échappe, les Egyptiens ont voulu «en outre l'utiliser contre Bourguiba et, de façon officielle, il nous fut demandé de prendre position contre lui, du fait de son hostilité à la cause arabe». Voyant que les nationalistes algériens ont refusé cette manœuvre, croyant fermement en l'unité d'un Maghreb arabe, les Egyptiens qui craignaient que ce grand ensemble du Maghreb, une fois constitué, ne leur échappe, ont fait un constat simple «d'un côté, le docteur Lamine, proche de leurs idées, était maintenant éloigné du gouvernement. Ferhat Abbas, qui présidait le GPRA, était un francophone et ceux qui n'étaient pas considérés comme tels, c'est-à-dire Krim, Boussouf et moi-même, étions trop indépendants et trop attachés à notre pays pour être manœuvrables. L'Algérie nouvelle, dans ces conditions, risquait de ne pas être assez soumise à leurs vues. De là, l'aide qu'ils ont décidé d'apporter au groupe dissident. Plus grave encore, Lamouri et Mostefa Lakehal avaient été reçus par Abd el Nasser lui-même». «Ces derniers prirent contact avec certains de leurs éléments stationnés aux frontières dans l'intention de les soulever contre le GPRA» continue de révéler Bentobal qui affirme que selon les déclarations des insurgés, enregistrées au cours de leur procès, «Abdel Nasser leur aurait conseillé de procéder au renversement du GPRA et d'arrêter les principaux dirigeants de la révolution, entre autres Mahmoud Chérif, Krim, Boussouf et Ben Tobbal. Après quoi, ils devaient constituer un nouveau gouvernement dirigé par Lamine Debaghine. Nasser les avait rassurés quant à la position des wilayas de l'intérieur qui étaient contre le gouvernement Abbas et il leur avait garanti que l'Egypte les reconnaîtrait immédiatement après la proclamation de la nouvelle direction». Le président égyptien s'était engagé à user de son influence pour que tous les autres pays arabes fassent de même et il leur avait promis des livraisons d'armes supplémentaires, ajoute Bentobal. Celles-là mêmes qui avaient été bloquées pendant des mois et que les Egyptiens se refusaient à fournir au GPRA. Grâce à des éléments infiltrés dans les rangs des insurgés, «nous connaissions le jour de leur départ du Caire ainsi que celui de leur arrivée en Tunisie […] Nous les avons laissés faire pendant un moment sans intervenir. Ils se réunissaient au Kef […] Nous hésitions toujours à intervenir parce que nous ne voulions pas que cela dégénère en une bataille rangée en plein territoire tunisien. Nous avons donc chargé les autorités tunisiennes de procéder aux arrestations». Après cela, le gouvernement avait désigné une délégation de trois membres pour se rendre dans la capitale égyptienne «Et, pour que cette démarche revête toute sa signification, c'est le président du GPRA lui-même qui fut désigné pour en prendre la tête». A plusieurs reprises, la demande d'audience faite au président égyptien resta sans réponse. «Nous adoptâmes une nouvelle tactique : faire jouer l'opinion publique arabe contre le gouvernement égyptien. Ahmed Francis et moi-même sommes allés voir l'ancien président de la Syrie (El Kouatly). Nous lui avons donc fait la relation du complot et des interventions de Nasser […]». Convaincu par les preuves présentées, il a éclaté en sanglots, répétant à plusieurs reprises : «C'est une trahison... C'est une trahison.» Bentobal continue son récit en racontant le départ d'El Koutaly, le lendemain, en Egypte pour rappeler à Nasser que quand la Syrie avait accepté l'union avec l'Egypte, elle n'avait posé qu'une seule condition, à savoir le soutien continu à la révolution algérienne. «Ce n'est qu'après cette entrevue que Nasser accepta de nous rencontrer. Une délégation fut à nouveau constituée. Elle était composée de Ferhat Abbas, de Boussouf et de moi-même. J'y étais allé un peu contre mon gré, avec la condition de dire clairement à Nasser ce que je pensais de ses ingérences et de lui faire comprendre que nous étions prêts à déplacer le siège de notre gouvernement vers une autre capitale que le Caire». Lors de cette rencontre, la délégation a suggéré au président égyptien de choisir entre trois solutions pour dissiper le doute qui planait sur les relations : une délégation égyptienne qui consulte le procès-verbal de l'instruction et interroge les internés ou une commission mixte qui consulte le procès-verbal et qui entendrait Lamouri et ses complices ou enfin recevoir, à titre d'information, l'enregistrement de l'interrogatoire et la copie du procès-verbal. «Pour toute réponse, Nasser nous dit que, dans cette affaire, il y avait de l'exagération. C'était tout. Il n'avait pas dit un mot de plus». C'est après cette affaire que le gouvernement provisoire changea de siège et s'installa à Tunis.Revenant sur la déclaration de Lamouri, Bentobal précise que ce dernier s'est limité «à des accusations de régionalisme portées contre Krim». «C'était le temps où commençaient à se répandre, venant surtout de la base de l'Est et des membres de la wilaya I, des propos désignant les gens par leurs origines. On disait : «Un tel n'est pas Arabe, il est Kabyle», que «Krim choisit ses éléments», «qu'il mène une politique
personnelle», etc.Je ne pense pas que cela était fondé. Pour ce qui est de Mohammedi Saïd par exemple, Krim n'avait pas été seul à le désigner comme chef de l'état-major du COM. Nous avions tous participé à sa nomination. Je ne pense pas non plus que Mohammedi ait pratiqué une politique favorable aux Kabyles puisque, de fait, il n'avait jamais réellement dirigé l'appareil (…)».
H. Y.


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