Photo : S. Zoheïr Par Sihem Ammour La place de la femme et son image dans la littérature ont été au centre d'une table ronde animée dimanche dernier par l'écrivain et essayiste Boniface Mongo-Mboussa du Congo-Brazzaville, le romancier et journaliste camerounais Eugène Ebodé, l'essayiste et écrivaine française Denise Brahimi, et l'écrivaine algérienne Fadhela M'rabet dans le cadre du 15ème Salon international du livre d'Alger (SILA). Ils ont, à tour de rôle, présenté leur vision de l'image féminine dans la littérature et plus spécifiquement dans la littérature africaine et magrébine. Boniface Mongo-Mboussa a, dans cette optique, souligné que si, dans les premiers écrits de la littérature africaine, la plupart des hommes qui ont parlé de la femme célèbrent la mère, il a fallu attendre la fin des années cinquante pour que l'image de la femme dans la littérature africaine prenne une nouvelle dimension. Ainsi, avec la présence de plus en plus d'écrivaines, «il y a une réelle volonté de prendre à bras le corps la situation de la femme et notamment par le biais de l'essai, afin de nommer les faits et interpeller les lecteurs sur la condition féminine de la femme africaine». Il a par ailleurs souligné que même les écrivains ayant parlé de la femme ont eux aussi démontré qu'au-delà de l'apparence de la soumission, les femmes ont joué un rôle important dans la société africaine avec parfois des positions plus courageuses que les hommes. Il cite à cet effet l'exemple du roman phare de la littérature sénégalaise L'Aventure ambiguë de Cheikh Hamidou Kane, publié en 1961. Dans ce roman, l'auteur démontre que, face à la paralysie des hommes devant l'envahisseur, les femmes ont eu le courage de prendre des décisions fermes quitte à briser la tradition, à l'instar de celle d'envoyer les enfants à l'école du colonisateur afin qu'«ils apprennent l'art de convaincre lorsqu'on n'a pas raison». Il soulignera également que la volonté des romancières et des romanciers aujourd'hui est de faire émerger l'individu face à certains aspects de la tradition qui prônent la soumission. Quant au romancier Eugène Ebodé, il a tout d'abord tenu à souligner que la sublimation de la mère reste toujours une source d'inspiration dans la littérature africaine, citant à cet effet son roman Silikani dont le titre lui été inspiré par sa propre mère qui aimait beaucoup la célèbre chanson Silikani, de Rochereau Tabu Ley. Il mettra en exergue la portée emblématique des paroles de cette chanson qui parle d'une jeune femme qui retarde son mariage car elle désire d'abord continuer ses études. Des paroles qui sont en résonance dans son propre roman.Il reviendra ensuite sur la volonté des écrivaines africaines d'être le porte-voix de leurs consœurs dans une écriture féministe. Il citera à cet effet l'une des précurseurs de ce mouvement, Mariama Bâ, laquelle, avec Une si longue lettre, est l'une des premières Africaines à avoir dénoncé les injustices faites aux femmes dans la société. Dans ce roman épistolaire, Mariama Bâ fait le procès de la polygamie, dénonce le comportement des hommes ainsi que certaines pratiques dans la société. L'auteur camerounais a également annoncé à l'assistance que son dernier roman, Madame l'Afrique, publié aux Editions Apic, (disponible au SILA) a comme thème central la complexité de la femme qui ne peut être réduite à des stéréotypes car c'est une figure multiple.En tant qu'écrivaine, l'Algérienne Fadhela M'rabet, confie à l'assistance : «J'écris pour transmettre ma propre expérience. Je n'écris pas de roman de fiction, car ma vie est en elle-même un véritable roman.» Elle rendra hommage ensuite à sa grand-mère «adorée» qu'elle appelle affectueusement «Djedda», a travers la lecture d'un extrait de son dernier roman. Quant à l'essayiste et critique Denise Brahimi, elle a abordé l'image de la femme dans la littérature magrébine en soulignant que «dans de nombreux écrits, la même idée s'imposait. Celle de décrire la femme comme nécessairement soumise alors qu'en réalité c'étaient des femmes battantes qui étaient dotées d'une formidable énergie». Elle ajoutera à ce propos : «C'est une sorte de résilience, conséquence des dures épreuves de leurs conditions. Lorsqu'on a survécu au pire, on peut résister à tout.» L'universitaire française spécialiste de la littérature maghrébine précisera : «Il y a un an, j'ai préfacé un livre publié par Harmattan. Une réédition d'une féministe française, Ubertine Auclerc, une suffragette qui avait suivi son mari en Algérie. Dans ce livre qu'elle avait publié en 1900, elle mettait déjà en exergue l'émancipation et la capacité de résistance à l'injustice des femmes algériennes.» Elle lira à ce sujet un extrait d'un passage du livre intitulé Les Milianaises (femmes de Miliana), féministes du XIIIe siècle.Denise Brahimi abordera ensuite la figure emblématique de la Kahina chez Kateb Yacine dans la pièce de théâtre La Guerre de 2000 ans. Elle souligne à cet effet : «Beaucoup d'écrits ont été publiés sur la Kahina dès l'époque coloniale, des écrits que je juge personnellement peu convaincants et parfois même affligeants. Mais, dans l'œuvre de Kateb Yacine, que je trouve magnifique et unique, la Kahina est présentée comme une véritable figure de résistance qui démontre la capacité de la femme algérienne à lutter mais aussi à montrer au nom de quoi elles se battent. La motivation première et d'être une femme libre qui ne supporte pas d'être le sujet de quiconque.» Elle rendra également hommage au parcours de Marguerite Taos Amrouche, sa mère Fatma Aït Mansour Amrouche, ainsi que la grand-mère, qui ont mis en exergue le phénomène de la transmission et rejoint la tradition ancestrale dans ce qu'elle a de plus moderne et de plus particulier.Pour conclure, on peut résumer les propos présentés lors de cette table ronde dédiée à la femme dans la littérature à travers une réplique d'un des personnages du roman de Mariama Bâ : «La femme ne doit plus être l'accessoire qui orne […] La femme est la racine première, fondamentale de la nation […].»