Les écrivains, pour Eugène Ebodé, sont des phares qui surgissent dans la nuit. « Nous devons être nos propres phares et regarder par quoi nous pouvons être pertinents. Par quoi nous devons envisager l'avenir avec encore plus de force que nous l'avons cru », dit-il avec conviction. L'écrivain, selon lui, pense d'abord à sa phrase, phrase initiale. Pour la résidence d'écriture, organisée à l'occasion du 2e Festival culturel panafricain (Panaf'), qui s'est tenue à Alger du 5 au 20 juillet 2009, Eugène Ebodé a choisi une jolie phrase pour débuter un texte léger : « C'était au temps où les hommes et les femmes vivaient comme si la mort avait pris sa retraite. » Mais comme la mort ne prend jamais sa retraite, le romancier camerounais continue à écrire sur la vie et ses tourments. « Vivre, c'est bien. Ajouter sa petite phrase ou son accent aigu au récit humain, c'est mieux », aime-t-il à dire souvent. Avec La Transmission, premier roman publié en France en 2002, Eugène Ebodé a tenté de montrer par quelle métamorphose on passe avant de renaître. « Avant la publication de ce livre, j'avais été longtemps hanté par la mort, cette prédatrice que seule la force de l'esprit muselle. De l'ivresse sourde de la mort, je suis passé à celle qui la raconte et la drible… », dit-il. Depuis, Eugène Ebodé a beaucoup écrit : Jacques Rabemananjara, essai publié en Italie en 2004, Grand-père Boni et les contes de la savane, en 2006, Le Fouettateur, premier recueil de poésie publié en Italie, Le Match retour et LaProfanation, des nouvelles... En 2008, il a publié un essai percutant Tout sur mon maire : Parité, diversité, férocité sous forme d'un journal de campagne électorale. Eugène Ebodé, qui a occupé le poste de directeur de cabinet du maire d'Achères, dans la région parisienne, a passé, dans ce livre, à la moulinette « la comédie » de la vie publique et dénonce l'absence de parité et de justice sociale en France. L'écrivain est un ancien footballeur. Sur son site internet, il a dressé un tableau, « un panthéon » des meilleurs footballeurs africains. Il cite, entre autres, Bruce Groobelar du Zimbabwe, Laurent Pokou de Côte d'Ivoire, Samuel Eto'o du Cameroun, Rachid Mekloufi d'Algérie, Hossam Hassan d'Egypte, Abedi Pelé du Ghana, Tarek Diab de Tunisie, Georges Weah du Liberia, Larbi Ben Barek du Maroc, etc. S'il salue l'organisation par l'Afrique du Sud de la prochaine Coupe du monde de football, Eugène Ebodé ne se prive de poser des questions gênantes : « Au regard des sommes colossales dépensées autour du ballon rond, comment ne pas s'interroger sur les drames sanitaires –y compris en Afrique du Sud– causés par les hépatites, la drépanocytose, la malaria et le sida ? Qu'ont fait les Sud-Africains noirs, désormais au pouvoir, pour hâter la résolution de ces problèmes et pour l'émancipation économique globale des citoyens les plus pauvres ? La valse des millions, de plus en plus folle, qui animent les « transferts de joueurs » ne va-t-elle pas finir par tuer un sport devenu absurde car trop déraisonnable. L'Afrique du Sud est-elle à l'abri d'une “mugabéïsation” ? » Au Zimbabwe voisin, Robert Mugabe, jadis héros national, a instauré une dictature cynique qui beaucoup retardé le pays. Eugène Ebodé a plaidé, lors de sa présence à Alger, pour plus de rencontres entre écrivains et intellectuels africains, en dehors de l'Europe. « Généralement, nous nous rencontrons en Occident avec un public qui a lu nos livres et qui a un pouvoir d'achat. Un public qui peut investir dans l'intelligence et la connaissance. Ce n'est pas le cas en Afrique », a-t-il relevé. Il a salué la décision, prise à la faveur du Panaf' 2009, de rééditer plus de 200 livres africains. « C'est une bonne chose que ce patrimoine littéraire nomade revienne en terre africaine et rencontre le public africain. Rencontre sous-entend aussi “rendre compte'' », a-t-il souligné. Eugène Ebodé, avec son éternel chapeau vissé sur la tête, n'aime pas trop parler de lui et de sa vie. Il adore citer le célèbre vers du poète et dramaturge russe Alexandre Pouchkine : « Poète, ne tiens pas à l'amour de la foule. Les louanges ne font qu'un bruit momentané ; Tu subiras encore le rire qui nous foule, Et le blâme des sots au talent décerné. » Il est vrai que Pouchkine, qui n'a vécu que 37 ans, qui était l'arrière-petit-fils d'Abraham Hanibal, un prince camerounais, et qui a donné son nom à une célèbre place de Moscou, a libéré la littérature russe et lui a donné un nouveau souffle. Au point que Gogol ne pouvait pas imaginer la Russie sans... Pouchkine. Comme il est difficile d'imaginer le Cameroun sans Eugène Ebodé ou Manu Dibango !