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«Une direction à l'intérieur aurait suppléé à certaines défaillances» évoquant les signes avant-coureurs de la crise politique Lakhdar Bentobal affirme :
Lakhdar Bentobal a affirmé, dans un chapitre intitulé «Carences et fléchissements», qu'en 1958 il y a eu un événement déterminant pour la poursuite de la révolution. C'était l'époque où la IVe République française s'effondrait et laissait la place au nouveau régime de De Gaulle : «Comme nous l'avons déjà dit, c'est à partir de ce moment qu'avait commencé la vraie guerre. Tous les moyens avaient été mis entre les mains de l'armée française pour en finir avec la résistance algérienne. Les choses avaient commencé à mal tourner pour l'intérieur.» Pour Bentobal, il est un fait établi : «Quand cela tourne mal à l'intérieur, les problèmes et les dissensions apparaissent au grand jour au sein de la direction politique.» Il dira même que, faute de trouver des solutions adéquates, «la crise éclate au sommet». A cette époque, les moyens nécessaires pour que la révolution puisse faire face aux nouvelles méthodes de guerre et aux nouvelles armes de l'armée française manquaient, témoigne-t-il. «Tandis que la stratégie et les techniques de guerre de l'adversaire avaient changé, nous étions, quant à nous, dans l'incapacité de trouver une parade» et cela même si, à l'intérieur, des actions pouvaient continuer à être menées, «mais cela n'était pas tout, encore fallait-il concevoir une nouvelle ligne, une nouvelle stratégie. Et c'est là que le conflit allait éclater. Chacun reprochait à l'autre de ne pas en faire assez». C'étaient les signes avant-coureurs de la crise qui avait éclaté au sein de la direction politique. Bentobal a retracé amplement les grandes opérations, menées par Bigeard et relayées par le plan Challe. L'époque où l'armée française avait décidé d'appliquer les méthodes de l'ALN, en utilisant des petits groupes très mobiles. C'était les années 1956, 1957 et 1958 qui «avaient drainé dans nos rangs un flot de gens de toutes sortes […] Jusqu'alors, les combattants étaient motivés et habités par une foi à toute épreuve ; ceux qui nous arrivaient semblaient maintenant être ballottés par l'événement», a témoigné Bentobal qui est revenu sur les traîtres à la révolution : «Pour la première fois depuis le début de la lutte armée, il nous était donné de voir des djounoud faits prisonniers qui acceptaient de se joindre à l'ennemi.» Il affirme que des populations s'étaient mises à former des groupes d'autodéfense pour interdire par les armes l'accès de leurs douars aux éléments de l'ALN. «Je ne sais comment interpréter ce fléchissement aujourd'hui encore. Peut-être la révolution n'avait-elle pas suivi le cours qu'elle devait suivre. Elle était restée, me semble-t-il, à son état primaire», s'est-t-il interrogé, affirmant que c'est à partir de là qu'il faut partir pour essayer de comprendre les crises qui ont éclaté au sein du groupe dirigeant. «Vers les années 1959-1960, on comptait 160 000 Algériens armés, combattant du côté de l'armée française, situation que nous n'avions jamais connue auparavant. Cela se passait partout, dans les villes, dans les campagnes et, ce qui était nouveau, cela se passait aussi dans les montagnes.» Ce retournement de situation est très explicité dans les mémoires de Bentobal qui affirme que la population avait perdu de son dynamisme et ne soutenait plus la résistance. Coupées de leurs bases, les unités de l'ALN avaient alors éclaté en petits groupes dont les actions se réduisaient à assurer leur propre survie : «D'opérations militaires, on était passé à des actions de fidaï, à des attentats individuels pour éliminer des traîtres ou pour atteindre quelque objectif militaire.» Les années 1958-1959 ont été, affirme-t-il, les plus dures de toutes et de là sont venues les différentes crises connues sous le nom de l'affaire Lamouri, de l'affaire Zoubir, celle de la base de l'Est et, pour finir, l'affaire des chefs de wilaya de l'intérieur. «Certains chefs de l'intérieur avaient leur moral atteint par la détérioration de la situation. De bonne foi, et croyant bien faire pour sauver ce qui pouvait l'être encore, ils allaient friser la trahison en tentant l'impossible. Ce fut le cas de certains chefs de la wilaya IV. Azzedine, pendant un moment, avait lui aussi fléchi.» C'est ainsi que «nous avions décidé de lancer une grande campagne diplomatique […]. Nous voulions par là laisser entendre que la cause algérienne gagnait en audience internationale et que la solution du problème était proche […] C'était aussi le temps où nous avions décidé de porter la guerre en territoire français». Le but étant d'obtenir un effet psychologique sur les troupes sans résoudre pour autant le problème, selon Bentobal. Le moral de la résistance s'est bien relevé après cette décision, mais l'effet n'a été que temporaire, a-t-il souligné. Les djounoud continuaient à rejoindre l'armée française mais «il n'y a pas eu un seul djoundi de la première heure, pas un seul de ceux qui faisaient partie de l'OS ou du PPA, de ceux qui avaient foi depuis toujours en la cause nationale, qui ait rallié les Français […]». Ainsi, tout ce qui a été entrepris sur le plan diplomatique ou sur le plan de la lutte armée en territoire français ne fut ni plus ni moins qu'une suite de diversions. «Quoi qu'on ait pu dire, la révolution ne se faisait pas aux frontières. Le peuple et la révolution étaient à l'intérieur.» Pour Bentobal, «l'armée française était à l'intérieur et c'est à l'intérieur qu'il fallait faire en sorte que la lutte passe à un stade qualitativement supérieur». Tout en reconnaissant qu'il est «très difficile aujourd'hui encore de répondre par un postulat, de dire que si la direction était restée à l'intérieur, ces déviations n'auraient pas eu lieu». Il n'en demeure pas moins, pour ce chef historique, qu'«une direction à l'intérieur vit dans les conditions mêmes de la lutte. Elle partage le même martyre que le peuple. Elle connaît les besoins réels de l'armée et ses insuffisances. Sur le plan théorique, une direction à l'intérieur est irremplaçable». Et même si le CCE est amené pour «une raison ou pour une autre» à quitter le terrain de la lutte, «il pouvait cependant se replier dans les maquis et vivre la même vie que tous les moudjahidine. Il pouvait remplacer chaque membre qui venait à disparaître par un nouveau, de façon ininterrompue, comme c'était le cas pour les chefs de wilaya. Mais, il reste que le problème des armes et du ravitaillement des troupes n'aurait pas été résolu. L'apport de l'extérieur restait toujours nécessaire. On peut toutefois se demander si la direction installée à l'extérieur a solutionné tous ces problèmes qui paraissaient insolubles auparavant. La réponse est non». Bentobal avoue qu'«avec le recul du temps, je peux dire à présent qu'une direction à l'intérieur aurait suppléé à certaines défaillances […]. A mon avis, si la direction était restée à l'intérieur, tout cela ne se serait pas produit». H. Y.