Le 31 mai 2010, l'armée israélienne attaque brutalement la «Flottille de la liberté» qui a mis le cap sur Ghaza. Depuis, les relations entre Ankara et Tel-Aviv se sont détériorées et l'escalade verbale entre les responsables des deux pays a failli provoquer une crise diplomatique sérieuse. Cet incident inédit entre des alliés stratégiques est assez symptomatique des velléités d'Ankara, qui est en train d'opérer un changement tactique dans sa politique étrangère dans le but d'accélérer son adhésion à l'Union européenne, dont les courants européocentristes refusent l'intégration d'un pays à majorité musulmane dans leur club catholique. Mais il n'y a pas que l'adhésion à l'UE qui motive le changement dans l'attitude turque qui, par ailleurs, est tenue par ses engagements au sein de l'Otan, ce qui limite son opposition à l'Occident. La Turquie est une puissance économique et militaire régionale et, à ce titre, tient à jouer pleinement son rôle au Moyen-Orient et peser de tout son poids dans le règlement des conflits qui empêchent la sous-région de se stabiliser et de devenir un marché pour les produits turcs. Ankara a déjà servi d'intermédiaire entre Israël et la Syrie pour un accord de paix. La Turquie compte également, à travers l'affront qu'elle a fait à Israël, peser de tout son poids dans le règlement du conflit israélo-palestinien et dans la crise interpalestinienne. Selon le Dr Samir Awad de l'université de Birzeit, «la Turquie pourrait également exercer une influence sur les Américains pour qu'ils pèsent sur leur allié israélien». Les Etats-Unis voient dans la Turquie un rempart contre ce qu'ils considèrent comme un croissant de l'extrémisme avec l'Iran, l'Iraq, la Syrie, le Hezbollah et le Hamas. Mais la Turquie s'est plus impliquée avec le Brésil dans le désamorçage de la crise du nucléaire iranien grâce à la proposition faite lors du sommet islamique, qui s'est tenu l'été dernier en Iran, et qui semble avoir été accepté par les puissances nucléaires occidentales. Néanmoins, les clivages traditionnels entre sunnites et chiites nourrissent l'ambition d'Ankara, nostalgique de la khilafa, de s'imposer comme leader des sunnites face à un Iran chiite aussi ambitieux. A. G.