Photo : Riad De notre correspondant à Annaba Mohamed Rahmani Parler du niveau de nos universités et si celles-ci forment des intellectuels revient à pratiquer une véritable autopsie de cette institution pour décortiquer le contenu des programmes enseignés, juger du niveau de ceux qui ont la lourde et difficile charge de les inculquer, les capacités des étudiants à assimiler de telles connaissances et si, en fin de parcours, ceux-ci sont à même de s'en servir et de les exploiter. Ce qui reviendrait à convoquer des assises nationales sur l'université pour débattre de toutes les difficultés dans lesquelles elle se débat. Aussi, nous nous contenterons à travers cette petite enquête de présenter des cas d'étudiants en cours de formation, de quelques diplômés et professeurs pour voir si, en aval, la mission de l'université a été accomplie.Récemment, un de nos confrères avait publié une lettre rédigée par un étudiant de l'USTHB, une lettre qui en dit long sur le niveau réel dans cette institution puisqu'il s'agit d'un écrit, donc réfléchi, «organisé et agencé». Dans cette fameuse lettre, on est tout de suite frappé par le nombre de fautes d'orthographe puisqu'il y est recensé autant de fautes que de mots, sans parler de celles ayant trait à la syntaxe, aux temps ou encore à la cohérence textuelle. «A madame la doyenne de la faculté d'électronique» de cette université est orthographiée : «A Madame La Douane», par exemple. Ou encore cette autre faute monumentale venant d'un étudiant de 5ème année : « […] qui je la dois mes s'insère respectueuse et j'explique ma male entendu qui passera le…» Un charabia inintelligible sans aucun rapport avec la langue qu'il est censé utiliser dans sa formation. Alors, formuler une hypothèse, comprendre une théorie, participer à un colloque ou faire une communication relèverait de l'impossible. Ceci juste pour donner un aperçu de la déliquescence d'une institution censée former l'élite de ce pays, donc assurer son avenir et, par la même, sa pérennité. Cette situation qui n'est guère reluisante, et qui n'honore pas l'Université algérienne, n'est pas propre à l'USTHB ; elle est présente dans toutes les autres universités ou centres universitaires et prend diverses formes. Médiocrité, allégeance et fuite des cerveaux La médiocrité est perpétuée par un système où le niveau de soumission à la hiérarchie est le seul critère pris en considération pour les nominations aux postes qui ouvrent droit aux avantages ; le mérite, le niveau, la compétence sont ignorés et relégués si bien que les compétences nationales passent avec armes et bagages dans les universités étrangères où l'on reconnaît leurs qualités et mérites déniés dans leur propre pays. Et l'on parle alors de fuite des cerveaux ; des cerveaux algériens et une matière grise valant son pesant en inventions et en innovations qui profitent aux autres, laissant le pays à la traîne, se complaisant dans l'annonce pompeuse de chiffres en mettant en avant le nombre vertigineux de 1,5 million d'étudiants ou celui des ingénieurs et techniciens formés. Une formation au rabais avec un titre qui ne reflète pas le niveau et qui ne peut rivaliser avec celui des autres universités étrangères. D'ailleurs, le classement des universités algériennes au niveau international vient loin derrière les pays arabes et africains. C'est dire la déliquescence et la dégénérescence d'une université qui, il y a quelque temps, était des plus performantes. La déliquescence de l'université Ce qui se passe à l'université de Annaba procède de cette déliquescence et de cette cécité intellectuelle bien assise et qui perpétue l'ordre établi. Des étudiants qui ne maîtrisent aucune langue, et dont le souci majeur est de quémander des notes, des soutenances de thèses où le plagiat est monnaie courante, des jurys de complaisance et une administration satisfaite que tout se passe selon le programme établi. En réalité, tout va mal, très mal, quand bien même on affirmerait en haut lieu le contraire. «C'est une question de sécurité nationale, l'université est censée former l'élite de demain. Or, cette soi-disant élite ne fait que plagier et ne fournit aucun effort de réflexion pour produire à son tour. Donc, notre devenir est hypothétique et si nous n'assurons pas justement ce devenir, nous sommes appelés à disparaître», nous dira un professeur de l'université de Annaba. Il nous confiera également que l'université vit une réalité dramatique parce qu'elle a recours à des milliers de vacataires qui ont pour seul diplôme une simple licence, faisant remarquer au passage que même le niveau des enseignants en poste prête sérieusement à équivoque. Comment, dans ce cas, dispenser un enseignement de qualité à même de rivaliser avec celui des universités étrangères s'interroge-t-il. Le coup de gueule d'un professeur Dans l'un de ses écrits publiés sur le Net, cet éminent professeur fait un flash-back sur la situation. «Les choses sont complexes, elles ne peuvent être réductibles à un simple constat, mais relèveraient d'une lecture diachronique mettant en relief les multiples dysfonctionnements caractérisant une université héritée de l'espace colonial. Certes, durant les années 1970, des efforts colossaux ont été entrepris pour massifier l'entrée à l'université, mais avaient été vite sabordés par une politique d'algérianisation qui a fortement enlaidi et gravement appauvri une université qui accueillait de très grands professeurs étrangers comme Bettelheim, Balibar, Dowidar, Palloix, Lebray, Ngandu Nkashama… Cette erreur d'appréciation des pouvoirs publics, conjuguée à un discours nationaliste désuet, allait fermer une institution dont la vocation première est l'ouverture au monde. Ainsi, le savoir se retrouve condamné à une fonction de gendarme, perdu dans les arcanes de décisions politiques, occultant la construction d'espaces symboliques pouvant bénéficier à une Algérie future. Les jeux démagogiques avaient pignon sur les territoires politiques qui avaient également pris la décision trop rapide de mettre en œuvre une politique d'arabisation, certes légitime, mais sans une sérieuse préparation, déstabilisant encore plus le paysage universitaire et poussant déjà à l'exil de nombreux universitaires. L'écueil de la langue allait engendrer une sérieuse césure. L'enseignement devenait le lieu d'un simulacre de jeu de langues et de tentatives de s'en sortir avec des mots trop approximatifs d'enseignants vite convertis dans une langue qu'ils ne réussissaient pas à maîtriser», écrit-il.Pour illustrer cette situation où le savoir et la connaissance n'ont plus droit de cité, il nous parlera des cadres supérieurs très au fait de la réalité dans nos campus et qui préfèrent caser leurs rejetons dans les universités étrangères de l'autre côté de la Méditerranée. Le plagiat, les bourses bidon, des jurys de complaisance avec des membres dont la spécialité n'a rien à voir avec le sujet traité, des enseignants qui ressassent les mêmes cours depuis des années - et qui ne sont jamais actualisés - et des étudiants qui subissent sans pour autant avoir la possibilité de se documenter dans les bibliothèques dont les livres datent de plus de vingt ans, alors que tout a évolué.Avec un tel niveau et des moyens dérisoires, on ne peut «fabriquer» des intellectuels, encore moins des chercheurs. A croire que l'Algérie a divorcé d'avec le savoir et que les «lumières» attendues ou souhaitées ne n'émergeront pas de cette génération.