Les habitants du monde développé se passionnent pour les technologies du XXIe (accès internet haut débit et sans fil, iPad, Wii Fit...). Ils oublient bien souvent qu'une large partie des populations des pays en voie de développement n'a pas encore connu la révolution technologique qui a transformé notre quotidien, il y a plus d'un siècle : l'apparition de la lumière électrique. Mais un nouveau système d'éclairage pourrait bien tout changer, qu'il s'agisse de l'efficacité énergétique de l'Occident ou - surtout - de la qualité de vie du reste de la planète. La première révolution de l'éclairage s'est faite grâce au gaz. Celui-ci a progressivement remplacé la bougie tout au long du XIXe siècle ; le nombre de lumières artificielles produites chaque année en Grande-Bretagne a été multiplié par cent. En 1879, Thomas Edison déclencha la deuxième révolution en éclairant son quartier général de Menlo Park avec des lampes électriques à filament de bambou. En 1881, plusieurs blocs d'immeubles du sud de Manhattan étaient déjà éclairés à l'électricité. Le reste de l'Occident allait suivre.Ces cent dernières années, les ampoules électriques ont connu nombre d'innovations - la lampe halogène aux filaments de tungstène, la lampe aux halogénures métalliques, la lampe au sodium et la lampe fluorescente compacte... Et grâce aux progrès de la conception et de la production de ces ampoules, l'éclairage d'une pièce coûte mille fois moins cher qu'il y a cent ans. L'ampoule à filament répandue mais dépassée Et pourtant, l'immense majorité des ampoules utilisées dans le monde (soit environ 12 milliards d'unités) sont équipées d'un filament peu ou prou semblable à celui d'Edison. Et en dépit de tous les progrès du siècle dernier, leur rendement est des plus faibles. La lumière visible ne représente que 2% de l'énergie dégagée par un filament ; le reste est pour l'essentiel émis sous forme de chaleur. Voilà pourquoi, aux Etats-Unis, les ampoules électriques génèrent autant de carbone que les automobiles ; et voilà pourquoi les gouvernements de nombreux pays voudraient voir les consommateurs adopter des ampoules à économie d'énergie, comme la lampe fluorescente compacte.Mais l'ampoule fluorescente appartient déjà au passé. Une nouvelle technologie est sur le point d'initier la troisième révolution de l'éclairage : la diode électroluminescente (LED). La proportion de lumière visible émise par une LED est aujourd'hui comprise entre 14 et 15% - soit un rendement déjà mille fois supérieur à celui des LED de 1968, et autrement préférable à celui des ampoules fluorescentes. Et cette efficacité devrait doubler d'ici à 2020.Les diodes ont bien d'autres avantages : leur durée de vie est cinq fois supérieure à celle des lampes fluorescentes (et cinquante fois supérieure aux ampoules Edison), elles sont plus petites, moins fragiles et inertes. La fabrication de ces lampes, leur stockage, leur acheminement et l'enlèvement des ampoules usagées reviennent donc bien moins cher. Voilà qui devrait grandement faciliter la vie de ceux qui tentent de convaincre les pays riches d'abandonner l'ampoule à filament. Plus écolo que l'éclairage au bois et au pétrole Mais quel que soit son impact dans les pays aisés, c'est bien dans les pays en développement que la révolution LED aura le plus d'impact ; des milliards de personnes y vivent encore sans électricité. Prenez l'Afrique - on y dénombre environ 110 millions de foyers sans accès à un réseau électrique, contre seulement 20 millions de foyers équipés. Pour beaucoup d'entre eux, le feu demeure la seule source de lumière. La moitié environ de ces foyers s'éclaire à la lampe à pétrole ; la plupart des autres s'éclairent encore à la bougie. En d'autres termes, près de la moitié des familles africaines doivent se contenter de technologies abandonnées par la plupart des Américains avant la guerre de Sécession, et la majorité des autres foyers utilisent une technologie passée de mode depuis la Première Guerre mondiale.L'éclairage par le feu ferait presque passer l'ampoule Edison pour un modèle d'efficacité énergétique. Pour chaque joule d'énergie transformé en lumière visible, une chandelle en brûle 2 500 inutilement. L'éclairage traditionnel est donc très coûteux - en plus d'être dangereux pour l'environnement. Au Kenya et au Ghana, les foyers vivant sans électricité dépensent environ 80 dollars par mois pour leur éclairage au pétrole (et les frais de carburant représentent l'essentiel de cette somme).Pour certains, ces dépenses représentent 30% des revenus de la famille, et ce, pour deux ou trois heures d'un éclairage nocturne de mauvaise qualité. Ajoutons que le secteur du pétrole rapporte 38 milliards de dollars par an à l'échelle mondiale ; les lampes à pétrole émettent chaque année autant de CO2 qu'une quinzaine de millions d'automobiles. Une efficacité énergétique limitée est également synonyme de mauvais éclairage : l'éclairage fourni par une bougie ou par une lampe à pétrole standard représente moins de 0,3% de l'éclairage fourni par une LED à un watt. Les lampes à pétrole sont, par ailleurs, dangereuses - en Inde, on dénombre chaque année 2,5 millions de brûlures graves provoquées par le renversement d'une lampe à pétrole. Ces formes d'éclairage traditionnelles dégagent également des vapeurs et des particules de suie dangereuses pour la santé. Travailler à la lumière d'une lampe à pétrole revient à fumer deux paquets de cigarettes par jour. Mais jusqu'à aujourd'hui, les pays en développement n'avaient aucun moyen pratique de fournir une source d'éclairage à bon rendement aux foyers ne disposant pas d'un réseau électrique. Certes, il existe désormais des lampes fluorescentes compactes équipées de batteries solaires, mais elles sont hors de prix. Même si elle permet d'économiser les frais de pétrole, une lampe à batterie solaire ne devient rentable que plus de trois ans après l'achat. Dans les pays en développement, les familles les plus pauvres ne peuvent se permettre de faire des investissements à si long terme. C'est pourquoi seul un foyer sur cent utilise des lampes ou des appareils fonctionnant à l'énergie solaire. La LED plus économe, plus résistante, moins chère Mais grâce aux LED, les choses sont sur le point de changer. Ces lampes ont un meilleur rendement et consomment moins d'énergie ; leurs batteries sont donc plus petites ; leur rechargement est ainsi bien plus rapide et permet de s'éclairer plusieurs heures durant à l'aide d'un panneau solaire de taille plus réduite. Les diodes sont également plus résistantes - un avantage notable pour toute technologie censée supporter un acheminement en camion sur les routes accidentées d'Afrique.Les coûts de fabrication et de distribution sont également réduits, ce qui se traduit par un coût moins élevé : le prix de ces nouvelles lampes est déjà fixé à 20 dollars, soit bien moins que la version fluorescente. Ce prix devrait par ailleurs chuter de 40% entre 2010 et 2015, et ce, pour une simple raison : on estime que les progrès des techniques de fabrication feront baisser le prix des LED de 75% au cours des prochaines années. En 2015, un foyer s'éclairant à la lampe à pétrole, qui décide d'investir dans une lanterne à énergie solaire, pourra amortir son achat en deux mois (contre sept aujourd'hui). Même les personnes les plus pauvres auront tout intérêt à adopter la diode. Un éclairage abordable et de qualité permet de travailler et de se détendre plus tard dans la soirée. En Inde, on estime que l'amélioration de l'éclairage a permis aux étudiants de travailler une heure de plus chaque soir - et les résultats scolaires ont évolué en conséquence. En plus de permettre de veiller plus longtemps, et d'être bien plus saines, moins dangereuses et plus écologiques, les lampes à énergie solaire s'accompagnent désormais souvent de chargeurs de téléphone portable : une innovation d'importance, lorsque l'on sait que les Africains vivant sans électricité dépensent 155 millions de dollars par an pour recharger leurs téléphones. Avec les LED, la révolution d'Edison va enfin s'étendre à la planète entière. C. K. In slate.fr