Derrière sa gandoura, notre guide cache l'âme d'une militante attentive à la cause de son peuple. «L'humanité est née au Sud, et c'est au Sud que l'humanité retrouvera son humanité.» Je ne sais qui a prononcé cette citation mais son contenu est bel et bien vrai. J'ai éprouvé cet altruisme pendant notre séjour au Sahara occidental. Les hommes, les femmes, les jeunes et les vieux nous ont accueillis comme des seigneurs. Leur hospitalité peut servir de modèle. Nous sommes le 22 février: un avion Casa, prévu à l'origine en coopération entre l'Espagne et l'Indonésie, décolle, avec dans ses entrailles une trentaine de journalistes algériens qui sont conviés à assister au 33e anniversaire de la proclamation de la République arabe sahraouie démocratique (Rasd). Des nuages comme du coton, tantôt stratocumulus, tantôt cumulus, illuminés par le soleil donnent l'impression qu'on est sur une crête dominant des reliefs enneigés. Après quatre heures de vol, l'avion a atterri à l'aéroport international de Tindouf. Les passagers «ont pris d'assaut» le seul café de l'édifice. Quelques minutes plus tard, «la caravane» transportant des journalistes et des sportifs prend le chemin de Smara, une ville distante de quelque 140km de Tindouf. Sur un terrain vague et aride, dans l'une des innombrables décharges à l'air libre l'on retrouve des chèvres, des ânes et des moutons qui cherchent désespérément de la nourriture. La poussière qui sévit prend souvent la forme de tempêtes harassantes et chroniques, auxquelles les habitants arrivent, au fil du temps, à s'habituer. «Nous, femmes sahraouies, tout comme l'ensemble de notre peuple, sommes prêtes à prendre les armes pour combattre l'occupant marocain et récupérer nos terres.» Assise sur une nappe, et tout en préparant le thé pour les invités, suivant un rituel des gens du désert, Fatima El Bouhali se livre à un discours politique des plus raffinés. «Dis donc, elle est politisée cette sexagénaire qui a perdu son mari en 1982 à Guelta Zemmour!» C'est que derrière la gandoura des Sahraouies, se cache l'âme d'une militante attentive à la cause de son peuple. Comme des milliers de Sahraouis, dont le nombre exact est difficile à déterminer, Fatima vit dans les camps de réfugiés à Smara. Entourée de ses filles et de voisines, Mme El Bouhali semble être de ces femmes qui font autorité dans les camps des réfugiés. Dans la wilaya de Smara, Aminatou notre guide, ne mâche pas ses mots à la première question de la délégation de journalistes algériens. «Nous avons assez souffert du colonialisme. Il n'y a que les armes qui peuvent nous débarrasser des tyrans.» Aminatou, comme beaucoup de ses concitoyens rencontrés dans les camps des réfugiés, ne cache plus sa volonté de reprendre les armes. La visite de l'Américain Christopher Ross en tant qu'envoyé spécial du secrétaire général de l'ONU pour le conflit du Sahara occidental, est suivie par tout le monde, surtout ceux qui sont impliqués. La population sahraouie est divisée sur ce point. Certains affichent leur espoir alors que pour d'autres rien n'a changé. Norredine D., 17 ans et qui a fait son lycée à Sidi Bel Abbès, affiche sa détermination en déclarant que «M.Ross est pour l'autodétermination, le peuple sahraoui est convaincu de cela», avant d'ajouter «ce que nous attendons de tout ce cortège de négociations et de rencontres, c'est l'indépendance et rien de plus». Salah Mohamed Abderrahmane, 25 ans, garde toujours l'espoir de voir un jour l'indépendance. «Ce que je souhaite, c'est retrouver nos terres et nos biens spoliés par les Marocains. Ce que j'espère c'est que la visite de M.Ross portera ses fruits.» La séparation imposée aux enfants de plus de 12 ans pour poursuivre des études en Algérie semble secouer Ouaigua, une jeune fille de 19 ans. «Ce que nous espérons c'est l'indépendance et rien que l'indépendance.» L'indépendance pour elle «c'est de pouvoir construire notre pays, construire beaucoup d'écoles. J'espère que mes petits frères ainsi que mes futurs enfants ne seront pas séparés de la famille à l'âge de 12 ans pour aller suivre leur scolarité en Algérie. L'indépendance est le seul rêve du peuple sahraoui. J'accroche tout mon espoir au processus de paix car la guerre cause des victimes.» Justement, à propos de l'enseignement, nous nous sommes rendus dans l'unique école du camp dans la wilaya de Dakhla. L'établissement, en argile, porte le nom du chahid Allel Allah. Le lieu est très calme. Pourtant, il est fréquenté par 550 élèves. Ils viennent de différents camps «à cause de l'électricité», nous explique-t-on. Le portail de l'entrée principale est grand ouvert. Pas trace de gardien. Au milieu de la cour ensablée, on ne voit que la hampe du drapeau sahraoui. Les élèves saluent l'emblème et chantent l'hymne national sahraoui avant de rejoindre les salles. A notre arrivée dans une classe, tous les élèves se lèvent et nous saluent en choeur: «Buenas tardes, sénor!». Ils nous ont pris pour des Occidentaux. La directrice les informe que les visiteurs sont des Algériens. Les élèves nous saluent, alors, en langue arabe. «Les élèves vous ont salués en espagnol, parce qu'ils sont habitués à des visites des Espagnols.» La configuration étroite des lieux a contraint la direction à constituer des sections de 45 élèves. En l'absence de mobilier, les élèves s'assoient trois par table. Le manque de moyens est flagrant. Les enfants sont tributaires des aides internationales. Les élèves suivent leur scolarité jusqu'à l'obtention de leur 6e, puis vont en Libye, à Cuba, mais la grande majorité, en l'Algérie. C'est le programme des écoles algériennes qui est appliqué dans le Sahara occidental. Pour ce qui est de la deuxième langue, l'espagnol est de mise. «Avant même que les enfants soient scolarisés, ils parlent couramment cette langue», déclare l'enseignante qui avait fait ses études supérieures à Kouba. Les enfants ont tous visité soit l'Espagne ou bien le pays de Castro, Cuba. S'agissant des vivres, les Sahraouis se nourrissent des aides alimentaires internationales. Ils se sont organisés de sorte à recevoir leur «ravitaillement» toutes les semaines ou tous les 15 jours, tout dépend des daïras. Cela n'empêche pas l'existence des magasins. Les prix enregistrent une hausse de 15 à 20 DA par rapport à ceux appliqués à Tindouf. «L'état des routes est notre seul problème», déclare Mohamed Djaber, commerçant en légumes et fruits. Lors de notre virée au coeur du souk de Dakhla, nous avons remarqué que les objets de fantaisie et de l'artisanat s'écoulent très bien. «Les étrangers aiment les souvenirs», déclare un artisan. Pour ce qui est de la situation sociale, certains Sahraouis s'estiment heureux «car il y a pire». Le chômage bat son plein en ce pays, plus de 75% de la population ne travaillent pas. Ils s'estiment heureux car il n'y a pas de problème majeur comme les épidémies, les maladies ou les pénuries de produits alimentaires. Au dernier jour de notre séjour, et à Laâyoun où le président Abdelaziz a assisté aux festivités du 33e anniversaire de la proclamation de la République arabe sahraouie démocratique, on sent que l'engagement du peuple sahraoui est sans faille. Malgré les difficultés, ces révoltés tiennent bon. Et la communauté internationale demeure muette et aveugle devant le drame de cette dernière colonie d'Afrique qui n'arrive toujours pas à recouvrer son indépendance après plus de cinquante ans de lutte.