De notre envoyé spécial à Dakar Ali Boukhlef «Un autre monde est possible.» C'est avec ce slogan, né il y a dix ans à Porto Alegre, au Brésil, que des milliers de manifestants ont arpenté, dimanche après-midi, les rues de Dakar pour dénoncer l'ordre mondial dans lequel vit l'humanité. Ils sont venus des quatre coins de la planète pour assister au Forum social mondial qui se tient cette année dans la capitale sénégalaise. Parmi la foule, qui a bravé la chaleur de Dakar, de simples militants associatifs, des chefs d'Etat et responsables politiques, venus de plusieurs pays. Le président bolivien, Evo Morales, a été la vedette incontestable de cette manifestation où se mêlaient revendications politiques, sociales et économiques. Le chef de l'Etat bolivien, un des leaders de la gauche latino-américaine, a marché quelques kilomètres avant de haranguer les foules, massées devant l'université Cheikh-Anta-Diop de Dakar. Il a sorti le grand discours à la Chavez pour convaincre son auditoire, d'autant plus qu'il évolue en terrain conquis. Il a vilipendé le «néolibéralisme», le «néocapitalisme» et «l'Occident qui exploite les richesses des pays du Sud». Il a vanté les mérites des «nationalisations» qui s'opèrent maintenant dans beaucoup de pays du Sud. La première secrétaire du Parti socialiste français, Martine Aubry, était aussi de la partie. Elle est venue à la tête d'une importante délégation qui comprend des parlementaires et des dirigeants socialistes, dont le porte-parole, Benoît Hamon.L'Algérie est représentée au Forum social mondial de Dakar par plusieurs associations et ONG, en plus du Conseil national économique et social (Cnes), représenté par Mohamed-Seghir Babès et d'autres cadres. On trouve des associations de victimes de terrorisme, des organisations féminines, de jeunes, des syndicats autonomes et des organisations de protection de l'environnement. La délégation algérienne comprend une trentaine de membres, dont quelques journalistes. Les Marocains ont fait main basse sur la 10e édition du Forum social mondial. En plus du comité d'organisation qu'ils contrôlent de bout en bout, ils ont élaboré des programmes d'ateliers taillés sur mesure. Ils ne se sont pas contentés de dresser le monde contre les Sahraouis, ils ont poussé le bouchon plus loin. Des membres de la délégation sahraouie, qui en compte une trentaine, ont été agressés physiquement lors de la marche de dimanche dernier. Des militants marocains se sont acharnés contre le carré de manifestants sahraouis qui brandissaient le drapeau de leur pays, au même titre que les autres citoyens du monde. L'intervention du service d'ordre a mis fin à l'agression. Ainsi, la programmation de conférences mettant au banc des accusés les Sahraouis qui luttent pour leur indépendance est l'une des contradictions de ce forum. Les colonisations et la domination des peuples font l'objet des luttes de cet élan mondial, né pour servir de pare-chocs à une mondialisation que les altermondialistes dénoncent avec vigueur.Il faut dire que les revendications ne manquent pas. Chaque peuple est venu à Dakar avec ses problèmes. Des militants de la République démocratique du Congo qui crient leur désarroi quant à la surexploitation des richesses de leur pays à ceux du Mali revendiquant un juste prix des produits agricoles et d'Asie demandant une rémunération à la hauteur de leurs efforts, la préoccupation est la même : le monde dans lequel nous vivons est injuste. Pour exprimer leurs opinions, les militants altermondialistes utilisent divers moyens. Dans la marche de dimanche, par exemple, des carrés aussi divers que colorés démontrent la diversité du monde. Des Togolais venus en caravane jusqu'à Dakar, des Maliens et Burkinabés qui ont pris des cars pour faire entendre leurs voix, jusqu'à certains dirigeants occidentaux – les socialistes français en sont l'exemple - venus préparer les campagnes électorales, tous les moyens sont bons pour exprimer sa différence ou chanter sa rengaine. Ce dixième Forum social mondial se déroule dans une conjoncture particulière. En plus des troubles politiques qui se déroulent en Egypte et en Tunisie, les peuples des pays pauvres sont en danger à cause de la hausse des prix des produits alimentaires de base. C'est peut-être une coïncidence, mais les autorités sénégalaises ont décidé de baisser de 15 à 20% les prix des produits de base, y compris des produits d'hygiène. Normal dans un pays où des immeubles ultramodernes côtoient des quartiers où le réseau d'assainissement est un vœu pieux. C'est une autre image du monde que dénoncent les altermondialistes.Pour le reste du forum, plusieurs dizaines d'ateliers et de conférences sont programmés dans les différents campus de l'université de Dakar jusqu'à vendredi prochain. Les thèmes abordés ont trait à la mondialisation, à l'exploitation des richesses naturelles et aux problèmes politiques que vivent beaucoup de pays du Sud.