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Les jeunes à Annaba entre détresse, émeutes et harga
Horizons bouchés et situations sociales devenant de plus en plus intenables
Publié dans La Tribune le 16 - 02 - 2011


Photo : Riad
De notre correspondant à Annaba
Mohamed Rahmani
Aujourd'hui, être jeune en Algérie n'est pas facile à vivre, surtout quand on est chômeur démuni et issu d'une famille modeste. Des centaines de milliers de jeunes déambulent à longueur de journée dans les rues, ils sont dans les cafés, dans les places publiques, sur les trottoirs ou dans les cybercafés à la recherche d'une occupation, d'un emploi qui pourrait être le point de départ d'une nouvelle vie qu'ils ont toujours espérée et attendue. Le sentiment d'impuissance, l'amertume, la colère, le bouillonnement et puis la révolte intérieure qui peut à tout moment s'exprimer violemment. Ce mécontentement général qui touche les forces vives de la société représentée par une jeunesse qui n'a plus de repères, qui a perdu espoir, a donné lieu, ces derniers temps, à des manifestations de rue qui ont tourné à l'émeute en plusieurs endroits. Début janvier à Annaba, ils étaient des milliers à investir la rue, non pas - comme cela a été rapporté - pour exiger la baisse des prix des produits de première nécessité, chose à laquelle on avait très vite répondu, mais plutôt pour exprimer un ras-le-bol, un refus et un rejet total d'une situation qui traîne depuis plus d'une décennie et qu'on veut changer. Une foule furieuse qui a tout détruit sur son passage, qui s'est calmée plus tard (au bout de 3 longues et inquiétantes journées), une situation qui reste en l'état et qui peut encore être rééditée tant les ingrédients de l'explosion sont toujours vivaces.
Des émeutes à répétition
Il y a trois jours, d'autres émeutes ont éclaté à Annaba et sansl'intervention rapide des forces de l'ordre qui ont réussi à disperser les manifestants, la situation aurait dégénéré et la ville aurait été mise à sac. Ces jeunes, venus assister à une réunion initiée par les services de la wilaya à la salle Pax suite à l'annonce par les autorités de la création de près de 7 000 postes d'emploi, l'avaient quittée prématurément pour improviser une marche sur le cours de la Révolution. Les rangs des marcheurs grossissaient au fur et à mesure. De quelques dizaines, ils sont passés en moins d'une demi-heure à des centaines pour, ensuite, marcher sur le siège de la wilaya où des policiers antiémeute furent déployés. L'affrontement qui s'en est suivi - jets de projectiles, matraquages, empoignades, slogans hostiles et obscènes - a fait des blessés dans les deux camps. En même temps, une autre protesta aussi violente que celle réprimée avait éclaté à la cité Didouche-Mourad, au niveau du boulevard d'Afrique : casse, actes de malveillance, destruction de mobilier urbain, dégradation de véhicules de particuliers et autres scènes de dégradations avaient marqué cette journée. Les postes d'emploi distribués ou qui le seront dans le cadre des différents dispositifs élaborés représentent un pourcentage infime par rapport à la masse des demandeurs d'emploi qui se comptent par dizaines de milliers. L'Etat, qui s'efforce avec les moyens dont il dispose de faire face à cette marée de chômeurs en débloquant au niveau national 230 milliards de dinars, soit l'équivalent de près de 3 milliards de dollars, n'arrive pas à résorber la crise de l'emploi, les banques ne jouent pas le jeu et s'évertuent à exiger des jeunes porteurs de projets des garanties ou un apport d'au moins 10% avant de débloquer les crédits. «Ce n'est pas possible, nous déclare le jeune Ahcene de la Colonne, pour monter mon projet, il me faut près de 9 millions de dinars et on exige de moi près de 90 millions de centimes. Si je les avais, je ne serais pas ici à quémander cette somme, je les aurais investis et j'aurais travaillé directement. D'un côté, on nous dit que les portes sont ouvertes et que chaque jeune entrepreneur peut accéder à un crédit et, d'un autre côté, on exige de nous une somme faramineuse pour lancer un projet. C'est à y rien comprendre ! Ils se payent notre tête. Nos espoirs, nos rêves de construire notre vie, de réussir et de devenir des citoyens normaux s'évanouissent et donc il ne nous reste qu'à exprimer notre colère et notre mécontentement. Ces émeutes, ces manifestations de rue ne sont pas venues comme ça, c'est parce que tous ceux qui vivent la même situation que moi se retrouvent tous les jours dans les rues et les cafés populaires pour parler de ça. Les discussions débouchent inévitablement sur le rejet de cette situation et il suffit d'un petit déclic pour que des manifestations spontanées soient déclenchées. Et là, ce serait très difficile d'éviter la casse. Nous ne sommes pas contre l'Etat, nous ne sommes pas contre notre pays, nous voulons simplement qu'on s'occupe de nous. Qu'on nous donne du travail et l'on n'entendra plus jamais parler de manifestations.»
La place des jeunes
L'Etat à lui seul, même s'il est le premier employeur du pays, ne peut éradiquer le chômage, les entreprises privées doivent y contribuer et créer des postes d'emploi. Mais celles-ci ne pensent qu'à leur rentabilité et aux gains qu'elles peuvent engranger sans se soucier de cette importante frange de la population qui vit un marasme et une détresse jamais égalés jusque-là. «Nous vivons, pour la plupart, en marge de la société, dira le jeune Rédha, surnommé “Zargou” pour la couleur de ses yeux. Nous vivons au jour le jour, de débrouillardise et d'expédients. On s'improvise gardiens de parking, revendeurs de n'importe quoi, pourvu qu'on gagne un peu d'argent. Cambiste, trabendiste ou hitiste, on est tous logés à la même enseigne et nous avons tous élu domicile dans la misère. Une misère qui nous unit et qui fait de nous une force pour casser et détruire, pour nous venger, alors que cette force est là normalement pour bâtir et construire. Notre place, comme vous dites, elle est du côté de Sidi Salem d'où les embarcations partent chaque jour, on prend la mer et on la défie juste pour fuir la misère, nous savons tous que c'est un coup de poker et que nous achetons notre mort à 10 millions. Mais il y a cet espoir, si infime soit-il, d'arriver de l'autre côté et de se débrouiller pour s'en sortir. L'Algérie ? Oui, c'est notre pays, nous ne la renions pas, elle est là en nous, nous la portons là où nous allons mais c'est surtout les horizons bouchés, la hogra, le fait de voir certains “veinards” profiter de ce qui nous revient de droit, de ce qui a été expressément élaboré pour nous et qui est détourné au profit d'autres qui n'en ont vraiment pas besoin. C'est surtout cela qui nourrit la haine à tel point qu'au moindre mouvement de jeunes, c'est l'explosion. On n'a rien à perdre parce que, tout simplement, nous n'avons rien. Il faut que ça change, ce n'est pas possible que cela puisse durer», conclut-il.
La détresse, la mer pour espoir
Dans les quartiers populaires, ce sont des centaines de jeunes désœuvrés, adossés aux murs, assis sur les bordures des trottoirs, ou debout au bord de la chaussée. Ils sont là, ils ne peuvent rester chez eux parce que c'est dur pour un homme dans la force de l'âge de rester cloîtré chez lui. «Je ne me sentirai pas homme au sens algérien du terme, si je reste à la maison, nous dit Mourad, un jeune universitaire au chômage. Il faut que je sorte parce que le regard des autres, je ne le supporte pas. Ils savent que je suis chômeur, donc sans avenir même avec mes diplômes et là c'est encore plus dur à admettre. Alors, je sors tôt le matin pour aller chercher du travail, et chaque jour je reviens le soir bredouille. Ma pauvre mère fait ce qu'elle peut pour me réconforter et m'encourager. A la longue, je ne pourrai plus tenir et j'achèterai un billet pour la Sardaigne, c'est un risque à prendre, je sais que c'est un suicide. Mais quand on est réduit à attendre que quelqu'un vous paye un café, vous sentez que quelque chose en vous commence à partir, je ne voudrais pas en arriver là.» Derrière chaque cas se cachent un drame, un désespoir et une détresse infinie. On ne croit plus en rien ni en personne, ni au discours politique, pas même religieux et encore moins au discours moralisateur. On est blasé. Aujourd'hui, l'Algérie risque de rater un rendez-vous important, un rendez-vous avec sa jeunesse, si des mesures urgentes ne sont pas prises pour restaurer la confiance perdue et rendre l'espoir à cette force de la nation qui ne demande qu'à vivre en paix.


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