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Marasme, chômage et harga à Annaba
Autopsie d'une catastrophe annoncée
Publié dans La Tribune le 02 - 02 - 2011


Photo : Riad
De notre correspondant à Annaba
Mohamed Rahmani
A Annaba, universitaires, diplômés, exclus du système scolaire, jeunes de tous bords, tous sont logés à la même enseigne, et vraisemblablement rien ne sera réglé, du moins à court terme. Les rafistolages, les bricolages et les emplois à mi-temps ou encore ceux mal rémunérés et à durée déterminée ont prouvé leurs limites. Les chômeurs n'y croient plus et se détournent de ces dispositifs, sachant qu'au bout, ils retourneront à leur situation première pour refaire le même circuit avec encore plus de difficultés. «J'ai bénéficié d'un seul contrat du temps où la formule pré-emploi était encore en vigueur. Je suis ingénieur de formation et je suis toujours chômeur, cela dure depuis près de 8 ans. Ce système, je n'y crois plus et je pense sérieusement à la harga ; je sais, c'est du suicide, mais c'est mieux que de traîner à longueur de journée dans les rues à la recherche d'un travail que je sais que je ne trouverai pas», nous confie
Mohamed Faouzi, 35 ans. Mohamed nous citera le cas d'autres «pistonnés qui ont été recrutés et qui, au bout d'une année, occupent des postes de responsabilité, car ayant des appuis». Il nous parlera de cette jeune fille fraîchement sortie de l'université et qui s'est trouvé un poste au niveau de l'une des banques à Annaba sans passer par le bureau de main-d'œuvre ni par une quelconque forme de sélection. «Un parachutage au vu et au su de tous, poursuit-il, sans que personne y trouve à redire ou ose en parler. Un scandale ! Est-ce cela l'égalité des chances dont ils parlent ? Je n'y crois plus.» Un autre chômeur nous dit qu'il a passé des jours entiers à constituer un dossier pour pouvoir prétendre à un financement à son projet auprès de la Cnac, mais celui-ci traîne depuis des mois et n'a pas encore abouti. «A chaque fois, on se rappelle qu'il me manque tel ou tel document que je ramène dans les 24 heures qui suivent et je me dis que, cette fois, c'est la bonne, mais, hélas, on me rétorque, à chaque fois, qu'il est à l'étude. Mais qu'est-ce qu'ils étudient ? De la physique nucléaire, c'est si difficile que ça !»
«Je me sens fini à 30 ans»
Les chômeurs, ils sont partout à Annaba, sur le cours de la Révolution, déambulant dans les rues, attablés dans les cafés ou assis sur les rochers en bord de mer, contemplant la Méditerranée et rêvant de harga. Toute cette force de travail, toute cette énergie, toute cette jeunesse qui ne demande qu'à être dépensée et utilisée est là, s'étiolant lentement et se sclérosant avec un bouillonnement intérieur qui finira par exploser et détruire tout sur son passage si on ne pense pas sérieusement à lui trouver des débouchés qui la mettront à l'abri. Certains parmi ces jeunes ont versé dans le banditisme et le trafic de drogue, d'autres sont devenus passeurs, d'autres encore se sont improvisés gardiens de parking. Ce qui est sûr, c'est que la débrouillardise est de mise et domine tous les domaines, à tel point que personne n'est véritablement à sa place. Un cambiste clandestin de la rue Gambetta à Annaba, informaticien de formation, des liasses de billets de 1 000 DA à la main, propose le change aux passants. Sur sa situation, il nous dit : «Je suis maintenant convaincu que j'ai fait des études pour rien, cela ne m'a pas servi à grand-chose. Regardez à quoi je suis réduit, je pratique un commerce illicite qui me permet de vivre. Je n'ai jamais pensé faire ce “métier”. Vous voyez, personne n'est à sa place, moi j'occupe la place de quelqu'un qui devrait être normalement ici et celui qui exerce comme ingénieur informaticien n'est sûrement pas à sa place, il doit être pistonné, et ainsi de suite. Tout est chamboulé, tout est bouleversé et je ne comprends plus rien. A 30 ans, je me sens fini et je suis dégoûté de cette vie.»
Chiffres surréalistes
Côté Anem, les inscriptions au bureau de main-d'œuvre se sont figées, non qu'il n'y ait pas de chômage mais plutôt parce que les demandeurs n'y croient plus, aucun parmi eux n'ayant reçu de convocation pour se présenter à un éventuel emploi au sein d'une entreprise ou d'une administration. La loi, pourtant, est claire, il ne peut y avoir de recrutement sans bulletin de présentation émanant
de l'Anem, mais on passe outre et au lieu que ladite administration présente plusieurs candidats à l'embauche, les relations du candidat «élu» font que celui-ci se retrouve seul et est recruté sur-le-champ. Une situation devenue quasi normale dans toutes les administrations de Annaba, où la corruption et les passe-droits sont légion. Cette situation dure depuis des années et ces accumulations ont fait boule de neige, les jeunes étant les plus touchés, ce qui présage une explosion.Officiellement, les taux de chômage communiqués sont entre 12 et 15 %, ce qui est très loin de la réalité. Surréaliste même, et il n'est pas question ici de faire
dans l'alarmisme ou dans la surenchère. Rien qu'à voir le nombre de jeunes sans travail dans les quartiers populaires, cela donne froid dans le dos, et l'on craint que la situation ne bascule à tout moment tant il est vrai que l'oisiveté, le désœuvrement, la misère, la paupérisation et le marasme social sont les ingrédients d'un soulèvement dont les conséquences seraient incalculables. Les différentes
formules d'emploi des pouvoirs publics ont quelque peu réduit le nombre de chômeurs, mais celles-ci, en l'absence d'un contrôle strict des listes des bénéficiaires, ne profitent qu'à certains, sachant que ceux qui sont censés les contrôler ont leurs candidats à eux. Si les PME ont connu un net développement avec la création de 5 400 microentreprises et petites entreprises, celles-ci sont pour la plupart aujourd'hui fermées et ont fait faillite du fait d'une concurrence illicite, engendrée par une importation massive tout aussi illicite.
Emplois au compte-gouttes
Au complexe sidérurgique, la seule grosse entreprise avec le complexe pétrochimique Fertial, grâce au lancement du plan d'investissement 2011/ 2014 de l'ordre de 500 millions d'euros, 600 emplois seront créés d'ici à 2012, une goutte d'eau dans
un océan de chômeurs. Et même ces 600 emplois ne seront pas à portée des chômeurs, puisqu'ils seront exclusivement réservés aux ouvriers de la sous-traitance.En l'absence de grands projets créateurs d'emplois et générateurs de richesses, le problème du chômage à Annaba, ou ailleurs à travers le pays, ne trouvera pas de solution.
M. R.
Manifestation de jeunes diplômés
De jeunes diplômés recrutés dans le cadre des formules DAIP, CID et CFI et activant dans différentes administrations se sont rassemblés il y a trois jours devant le siège de la wilaya de Annaba pour demander aux autorités locales la reconduction de leurs contrats, arrivés à terme. Ce sont des ingénieurs, des techniciens, des licenciés dans différentes filières qui s'étaient donné rendez-vous devant cette institution pour exprimer leur détresse et faire comprendre aux responsables qu'ils n'ont plus où aller et ne veulent pas revenir encore une fois à la case départ. Le wali, qui a reçu une délégation de ces protestataires, avait donné des assurances quant au traitement de leur cas dans les prochains jours. Lundi dernier, nous avons appris qu'effectivement, il y a eu du nouveau et que ces jeunes allaient être pris en charge par toutes les administrations qui les avaient employés. En effet, instruction a été donnée aux responsables de recruter tous ces jeunes avec des contrats à durée indéterminée (CDI). Une très bonne nouvelle qui les mettra à l'abri. Selon un responsable local, ces mesures ont été décidées en haut lieu et sont appliquées en procédant à l'affectation de ces jeunes diplômés dans les différents services.


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