c'est une ville de Constantine étonnamment calme qui s'offrait au regard, hier matin, lendemain d'une fête, en l'occurrence El Mawlid Ennabaoui, pourtant religieuse, mais qui semble avoir été dédiée exclusivement au bruit assourdissant des pétards. Pourtant, à y regarder de près, beaucoup d'habitants de cette cité et de ses environs s'attachent toujours à fêter l'anniversaire de la naissance du Prophète de l'islam selon des traditions solidement ancrées, même si le cérémonial de la célébration semble, aujourd'hui, bien différent de celui d'antan. Jadis, la ville du Vieux Rocher fêtait l'évènement non seulement le 12 rabie el-awal mais durant toute la semaine allant du onzième au dix-septième jour de ce mois du calendrier de l'hégire. Une attention particulière est vouée à la dimension spirituelle de cette fête religieuse exprimée par l'invocation d'Allah et la glorification du Sceau des prophètes. Les zaouïas de Constantine, à l'instar de celles de Ben Abderahmane et de Sidi Rached, recevaient les cheikhs de la région qui prenaient part aux réunions de dhik, de lecture du Saint Coran et de déclamation de madih. Dans les mosquées, des concours sur les connaissances religieuses et de récitation du Coran étaient organisés et suscitaient un engouement incroyable. Dans la cour de la maison, avant le lever du soleil Dans les foyers constantinois, les femmes se réveillaient «avant le lever du soleil», se souvient hadja Fatma (80 ans), habitant le vieux quartier El-Batha. «Autrefois, dit-elle, on invitait nos voisines dans la cour de notre maison pour entamer, dès les premières lueurs du jour, la préparation de mets les plus délicats en quantités abondantes, notamment ethrid et echekhchoukha. Une partie de ces plats était conservée et l'autre était donnée en aumône. C'était souvent de larges gassaas [grands plats en bois pour six personnes] de chekhchoukha, chargées de viande et de légumes qui prenaient le chemin des mosquées ou qui étaient servies devant les entrées des maisons aux passants démunis. Dans l'après-midi, la maison était soigneusement nettoyée et parfumée d'encens et de musc, laissant le temps aux femmes de se parer de leurs plus beaux atours en prévision de la veillée d'El Mawlid.» Et hadja Fatma d'ajouter qu'une fois le soleil couché, les bougies étaient allumées et les bendirs tonnaient pour accompagner les madihs, dont le célèbre Zad Ennabi oua frahna bih (le prophète est né, nous nous en réjouissons), collectivement chantés dans une ambiance de grande joie. Une sorte d'«autarcie» Les veillées se terminaient par des qaadate autour des grands-mères qui relataient en brillantes oratrices les histoires fabuleuses de Sidna Ali. Le lendemain de cette fête qui, ajoute cette octogénaire, réunissait tous les membres de la famille et consacrait les pratiques de solidarité parmi les habitants du même quartier, on préparait des ghrayaf et du garyouch (pâtisseries traditionnelles). Aujourd'hui, beaucoup de choses ont changé même si certaines familles constantinoises continuent de marquer leur attachement à ces rites ancestraux. Les actions collectives de solidarité à l'intérieur d'un même quartier ont disparu, ainsi que les grandes réunions de familles et les festins auxquels on conviait proches, voisins et amis. Chaque petit ménage semble aujourd'hui vivre dans une sorte d'autarcie. Et puis, peut-on seulement se lever aux premières lueurs du jour quand, jusqu'à des heures indues, trouver le sommeil relève du miracle à cause des crépitements de produits pyrotechniques et autres déflagrations, résultat de curieuses «recettes» et d'assemblages de dizaines de pétards ? Voilà qui explique sans doute tout le calme de l'antique Cirta, en ce lendemain de Mawlid.