Entretien réalisé par Ziad Abdelhadi La Tribune : Depuis l'entrée en vigueur de la nouvelle loi 10/03, le 15 août 2010, il s'est passé près de six mois. Peut-on savoir le nombre de demandes de reconversion ? Ali Matallah : Avant de répondre à votre question, j'estime qu'il est utile de vous rappeler en quoi consiste la mission de l'ONTA. L'office est chargé de l'encadrement administratif de la mise en œuvre de la nouvelle loi ainsi que du contrôle des obligations des concessionnaires. En clair, c'est l'ONTA qui sera le partenaire des exploitants pour la mise en œuvre de la nouvelle loi sur le foncier agricole. Il sera donc chargé, notamment, d'accompagner les exploitants concernés dans la procédure de formalisation des dossiers de conversion du droit de jouissance perpétuelle en droit de concession et de la mise en place et du suivi du fichier des exploitations agricoles. Dans cette perspective, l'office est déjà opérationnel puisque son conseil d'administration a déjà été installé, son DG et directeurs régionaux ont été désignés, les membres des cellules de wilaya formés et un logiciel de traitement des dossiers est en cours de finalisation pour faciliter l'intervention de cet encadrement. Cela dit, je rappellerai que les exploitants sont tenus, dans un délai de 18 mois, à compter de la date de publication de la loi, de déposer auprès de la subdivision de l'agriculture une demande de conversion du droit de jouissance en droit de concession accompagnée d'un simple dossier constitué des principaux documents justifiant l'occupation des terres et prouvant l'identité de l'exploitant. Et pour revenir à votre question, nous avons enregistré à la date du 15 février 201I, le dépôt de 107 000 demandes. Après la phase de dépôt vient celle de l'instruction du dossier par la Direction de wilaya de l'ONTA, après quoi l'exploitant dont le dossier est conforme est invité à signer un cahier des charges et l'acte de concession. Ce dernier est établi à titre individuel pour responsabiliser davantage l'exploitant et lui consacrer son droit à titre personnel. Qu'en est-il de la conformité du dossier qui peut être exclu du bénéfice de la concession ? Ce sont les personnes ayant pris possession des terres agricoles du domaine privé de l'Etat ou ayant procédé à des transactions ou acquis des droits de jouissance et/ou des biens superficiaires en violation des dispositions législatives et réglementaires en vigueur. Ou d'autres ayant fait l'objet de déchéance prononcée par voie de justice et dont les arrêtés d'attribution ont été annulés par les walis. Quant à ceux dont les affaires sont pendantes au niveau des juridictions compétentes, je tiens à préciser que leur demande est différée jusqu'au prononcement du jugement définitif. Sur ce dernier point, nous sommes devant 400 cas et concernant 3000 hectares. Qu'en sera-t-il des exploitants qui n'auront pas déposé de demande à la date-butoir ? Au-delà du délai fixé par la loi, c'est-à-dire 18 mois après le 15 août 2010 et après deux mises en demeure transmises par huissier de justice et si les exploitants ne se manifestent toujours pas, ils seront considérés comme ayant renoncé à leurs droits. Le dernier recensement général de l'agriculture effectué en 2003 a fait ressortir que la moyenne d'âge des exploitants des terres du domaine public dépassait largement la cinquantaine et qu'un nombre important sont des sexagénaires. Dès lors, on peut se demander si cette catégorie d'exploitants va recevoir un titre de concession ou bien si la loi a prévu une alternative à ce cas précis... Il est vrai que cela paraît tout à fait paradoxal de délivrer un acte de concession à un exploitant en âge d'être à la retraite. Mais ce qu'il faut savoir, c'est que le droit de concession est transmissible. Cela veut dire, d'une part, que l'exploitant peut transmettre de son vivant le droit de concession à l'un des membres de sa famille et, d'autre part, que ce droit de concession est transmissible aux héritiers en cas de décès. Dans ce cas, les héritiers disposent d'un délai d'une année pour choisir l'un d'entre eux pour les représenter et assumer les droits et charges dans l'exploitation de leur auteur. En somme, se désister, à titre onéreux ou gracieux, au profit de l'un d'entre eux. Ils cèdent donc leur droit dans les conditions fixées par la présente loi. Après ce délai, et si les successeurs et ayants droit n'ont pas opté pour l'une de ces alternatives, l'Office national des terres agricoles saisit la juridiction compétente. La loi 10 /03 permet également aux bénéficiaires de céder leur droit à un des membres de l'EAC. Ce qui laisse supposer qu'un membre d'une EAC peut devenir le seul à exploiter le périmètre. Ce passage du collectif à l'individuel comporte-t-il des conditions ? Etant donné que le droit de concession est cessible, il est possible à tout exploitant de disposer de plusieurs droits de concession à condition qu'ils soient dans une même exploitation afin d'agrandir les exploitations actuelles, ce qui, en soi, va permettre des opérations de remembrement. Il s'agit là d'une innovation dans la mesure où cela va permettre de mettre fin aux conflits, aux mésententes et partages qui ont été souvent observés au sein de la majorité des exploitations collectives. La nouvelle loi permet donc aux exploitants de se constituer en exploitations individuelles. Cette nouveauté constitue une rupture avec le mode d'exploitation actuel fondé essentiellement sur la forme collective imposée. Elle ouvre de ce fait une nouvelle perspective aux collectifs actuels. Il faut noter cependant que les partages ne sont tolérés que dans les cas où ils ne portent pas atteinte à la viabilité de l'exploitation conformément à la réglementation régissant le morcellement des terres agricoles. Je tiens à indiquer toutefois que les transactions opérées entre les bénéficiaires d'un droit de concession se font sous le contrôle de l'Office national des terres agricoles, lequel peut recourir à l'exercice d'un droit de préemption après les autres exploitants concessionnaires de la même exploitation agricole. Sous l'ancienne loi, les exploitants se voyaient refuser un crédit auprès des banques publiques. Est-ce qu'avec un acte de concession ils pourront bénéficier de prêts auprès des établissements financiers ? Le droit de concession confère le droit de constituer, au profit des organismes de crédit, une hypothèque grevant le droit réel immobilier résultant de la concession. Il peut faire l'objet de saisie par les créanciers. Il demeure entendu que la terre ne peut faire l'objet de saisie et demeure propriété de l'Etat. Et toujours dans cet esprit de recherche de moyens financiers en vue de drainer l'investissement et le savoir-faire, il est permis aux exploitants de faire appel au partenariat national. Ce dernier (le partenariat) se fait par acte authentique et ne concerne que les personnes physiques de nationalité algérienne ou des sociétés de droit algérien dont la totalité des actionnaires est de nationalité algérienne. Outre les terres du domaine public, l'ONTA intervient-il aussi sur les nouvelles concessions rendues disponibles et les terres privées ? Pour les nouvelles concessions, l'office lancera des appels à candidatures avec des conditions claires. Pour les terres privées, l'ONTA a les prérogatives de mettre en demeure les propriétaires ayant détourné de leur vocation agricole leur terre ou des biens superficiaires. Seront aussi mis en demeure tous ceux qui n'exploitent pas leur périmètre ou des biens superficiaires durant une période d'une année. Lors des réunions d'explication du nouveau dispositif, beaucoup d'intervenants se sont demandés si leur investissement est garanti à la fin de la durée légale de la concession. Quelle est votre réponse ? L'investissement réalisé par le concessionnaire est garanti à la fin de la durée de la concession à travers l'indemnisation préalable, juste et équitable de ces biens. Il est également garanti lorsque la terre est concernée par la réalisation d'un équipement d'utilité publique. Je tiens aussi à préciser que la fin de la concession peut intervenir : à l'expiration de la durée légale de la concession lorsqu'elle n'est pas renouvelée ; à la demande du concessionnaire avant l'expiration de la durée de la concession ; suite à un manquement aux obligations du concessionnaire. Les manquements aux obligations des exploitants sont sanctionnés par la résiliation administrative de l'acte de concession après le constat effectué par un huissier de justice, à charge pour l'exploitant d'exercer son droit de recours devant les juridictions compétentes. La loi énonce dans ses dispositions la nature du manquement pouvant faire l'objet de résiliation de l'acte, il s'agit des cas de détournement de la vocation agricole des terres et/ou des biens superficiaires, de non-exploitation des terres et/ou des biens superficiaires durant une période d'une année ; de sous-location des terres et/ou des biens superficiaires ; du non-paiement de la redevance à l'issue de deux termes consécutifs. J'ajouterai que cette mesure dissuasive responsabilisera davantage les exploitants agricoles. Elle réhabilitera l'Etat dans ses missions de propriétaire des terres. L'ONTA est-il soumis à un délai pour mener à terme sa mission ? Nous disposons d'un délai de trois ans. Une période que nous estimons convenable pour nous permettre de nous structurer et de manière à ce que l'office assume son rôle d'instrument privilégié de gestion de la politique foncière. Pour ce faire, nous nous attelons actuellement à élaborer un fichier de l'ensemble des terres agricoles pour garantir une meilleure protection et sécurisation des terres. Que diriez-vous des objectifs de la nouvelle loi sur le foncier agricole ? Je dirai que les visées de la nouvelle loi sur le foncier agricole sont claires. Elle est venue pour codifier la gestion des terres agricoles du domaine privé de l'Etat et jeter les bases d'une utilisation optimale du foncier agricole, afin d'atteindre les objectifs d'assurer la sécurité alimentaire pour le pays.