Le ministre des Affaires religieuses en est certain : la République rénovée aura son grand mufti islamique. S'exprimant en marge de récents travaux du Sénat, Bouabdallah Ghoulamallah a déclaré que le chef de l'Etat, «personnellement en charge du dossier», désignera un mufti de la République dans «le cadre des réformes politiques» annoncées, en son nom, par un proche conseiller, à Mostaganem, le 19 mars dernier. Le futur mufti de la République sera placé sous l'autorité du premier magistrat du pays. C'est une «institution présidentielle», a précisé le ministre des Affaires religieuses. L'Algérie aura donc mis près d'un demi-siècle pour se doter d'une réelle et unique autorité religieuse en matière de fatwas coraniques. Le champ de l'avis religieux qui fait autorité avait été pratiquement laissé en jachère depuis l'indépendance, la mission d'éclairer la foi et la pratique religieuse ayant été confiées, conjointement ou alternativement, au ministère des Affaires religieuses et au Haut-Conseil islamique. L'idée a fini par faire son chemin. La question de créer une maison de la fatwa, dirigée par un mufti de la République, est apparue dans le débat public en 2003. Contrairement à d'autres pays arabes comme la Tunisie ou l'Egypte, qui disposent d'un mufti depuis plus d'un demi-siècle, l'Algérie a dilué le pouvoir d'émission de l'avis religieux entre l'administration et un conseil d'oulémas choisis par le chef de l'Etat. Le ministère des Affaires religieuses et des Waqfs a, en effet, entre autres attributions, la mission d'«éliminer les sources de compréhension erronée de l'islam et les causes qui ont retardé l'épanouissement de ses valeurs fondamentales». Corriger les fausses lectures des préceptes de l'islam équivaut, donc, à confier au ministère du culte la prérogative d'émettre un jugement légal, de présenter un avis religieux qui a force d'orientation légale, sans être lui-même une loi fondamentale. De manière plus explicite, cette tâche est également confiée au Haut-Conseil islamique, gardien du dogme, dont la vocation première est de l'éclairer. Il est par conséquent dûment habilité à «proclamer les fatwas religieuses tant dans le cadre officiel que particulier». Dans ce domaine, où le pouvoir de saisine est théoriquement dévolu à des personnalités physiques et morales, ce vénérable cénacle a la charge d'«œuvrer à la propagation des enseignements de l'islam». Il est donc habilité à «corriger les perceptions erronées des dispositions de la charia en s'appuyant sur le texte coranique et la sunna nabawiya ainsi que sur les précédents reconnus de notoriété». Sa prérogative subséquente est de «relever et combattre la falsification, la déformation ou l'excès qui auraient pu ou qui pourraient entacher la saine compréhension des préceptes islamiques». Mais la pratique en la matière a montré que la copie rendue par le ministère des Affaires religieuses et le Haut-Conseil islamique n'est pas parfaite, loin s'en faut. Peu occupé par ces deux instances, déstructuré et livré à des prédicateurs improvisés, généralement incultes et souvent ignares, le champ de la fatwa a alors vite répandu une pensée religieuse radioactive. Cette «science» obscurantiste a alors fait le lit du fanatisme et de l'intégrisme religieux. N'importe comment et n'importe où, n'importe qui s'improvisait ayatollah, prêcheur, prédicateur, jurisconsulte, sermonneur, imam et ouléma. Il prenait ainsi, progressivement, la place due à l'érudit du rang le plus élevé, seul à même de rendre le jugement légal dans le rite auquel il s'attache, à savoir l'école malékite. Durant les années 1980 et 1990, un célèbre tôlier et un marchand de poulets se sont attribué le titre d'«émir des croyants», précisément guides implacables de fidèles en armes illuminés par la mission de réislamisation de la société. Aujourd'hui, en l'absence d'une autorité de la fatwa reconnue et crédible, la presse arabophone, à son tour, verse dans la fatwa quotidienne. Sous format tabloïd, elle livre à ses lecteurs des avis religieux accommodés à toutes les sauces comme elle proposerait des recettes de cuisine, l'horoscope ou des astuces sexuelles ! La faiblesse de la régulation institutionnelle de l'islam et l'incapacité de la société et de l'université algériennes à produire des systèmes de références attractifs et, sous leur bannière, des autorités religieuses de la dimension d'un Ben Badis ou d'un El Ibrahimi, ont vite fait de détourner les Algériens vers les chaînes de télévision religieuses arabes. Sur les plateaux de ces stations thématiques, des imams cathodiques, généreusement rétribués par les monarchies pétrolières du Golfe, ont antenne ouverte et prêchent un islam salafiste qui confond rigorisme religieux et wahhabisme rétrograde. L'engouement des croyants algériens pour des chaînes comme Iqra, Errissala, Al Huda, Al Madina et la fascination exercée sur eux par des Tareq Essouwaïdane, Othmane El Khamis, El Otheïmine, Slimane Jbilane ou encore Khaled Yacine et bien d'autres, dessinent en creux l'absence d'une offre religieuse algérienne attractive et concurrentielle. Aujourd'hui, en Algérie où le sentiment et la pratique religieux se sont considérablement accrus, les fidèles sont incapables de citer le nom d'un seul imam algérien qui aurait fait autorité en matière de théologie. Même les dirigeants historiques de l'ex-FIS ne faisaient pas le poids et Ali Belhadj, le plus emblématique d'entre eux, ne fait plus recette. Hormis de rares spécialistes et les lecteurs de quelques journaux, personne ne connaît, par exemple, cheikh Tahar Aldjet ou cheikh Abouabdessalam, pourtant tous imams malékites et érudits de bon aloi. L'existence d'un mufti qui agirait à la suite d'une demande, confronterait son opinion à celle de ses pairs, argumenterait et serait clair et conforme à l'esprit de l'islam est finalement une bonne nouvelle. Elle s'inscrit dans une logique de rattrapage qui aurait incité le président Abdelaziz Bouteflika à vouloir dépasser ce qui ressemblerait à un «complexe des Qarawiyine» ou à un «syndrome de la Zitouna». Etat d'esprit qui l'aurait motivé pour doter son pays d'un pôle de rayonnement spirituel de la taille de la grande mosquée d'Alger, dont le minaret, gigantesque érection structurelle, serait le témoin architectural de la volonté de faire adosser le futur mufti de la République à une institution prestigieuse. A l'image des Qarawiyine, de la Zitouna ou même d'El Azhar, elle œuvrerait à renforcer le référentiel historique unique qu'est le rite malékite sunnite. Et assurer la sécurité spirituelle des Algériens et l'unicité du malékisme. Ce que voulait faire d'ailleurs le président Chadli Bendjedid avec l'université islamique Emir-Abdelkader de Constantine. Mais il y avait loin de la coupe aux lèvres. N. K. La 7ème marche de la CNCD empêchée par la police La Coordination nationale pour le changement et la démocratie a tenté, une nouvelle fois, de marcher hier à Alger. La marche, qui a réuni quelques dizaines de personnes seulement, dont des députés du RCD et le président d'honneur de la Ligue algérienne pour la défense des droits de l'Homme, Ali-Yahia Abdenour.La marche qui devait partir de la place du 1er-Mai pour la place des Martyrs n'a donc pas eu lieu. Le dispositif policier mis en place depuis la matinée a empêché les tentatives de manifestation. Les militants présents se sont constitués en petits groupes. Ils ont scandé des slogans appelant au «changement du système».Les manifestants se sont dispersés dans le calme vers la mi-journée. R. P.