A quelles fins le Président a-t-il créé une telle institution ? L'Algérie vient de se doter d'un organisme chargé des fetwas. Annoncée dimanche dernier en Conseil de gouvernement, cette institution, appelée Dar el-ifta' — maison des fetwas — est, selon le communiqué du Conseil, “un organe à caractère religieux et scientifique” qui sera “la référence officielle en matière de fetwas”, avis religieux autorisés par l'islam. Créée en vertu d'un décret présidentiel, elle vise ainsi à “combler l'absence d'une institution officielle dans ce domaine et permettra d'unifier les fetwas au niveau national”. Jusque-là, on croyait ce rôle dévolu au Haut-conseil islamique (HCI). Or, cette instance est, à l'instar des autres conseils affiliés à la présidence, réduite à une mission consultative. C'est ce qu'explique M. Saïdi du ministère des Affaires religieuses. “Le HCI n'a pas le droit d'émettre des fetwas”, soutient-il. Tout dernièrement, le département des habous a mis en place une commission ministérielle des fetwas, à laquelle il a confié le rôle d'expliciter la religion et de simplifier ses usages aux citoyens. Des lignes téléphoniques ont même été mises à leur disposition pour exprimer leurs doutes et leurs préoccupations. “C'est une structure provisoire. Elle sera dissoute, une fois Dar el-ifta' installée”, révèle M. Saïdi. Notre interlocuteur affirme que la nouvelle institution sera dirigée par un grand mufti désigné par le président de la république et composée d'érudits et de docteurs de la loi. Sous l'ère coloniale, une structure similaire existait. Elle était commandée par le grand mufti d'Alger. A l'indépendance, elle a disparu, remplacée par une entité unique à caractère exécutif chargée des affaires religieuses. Le ministère des Affaires religieuses sera ensuite relayé par le Haut-conseil islamique. Etroitement lié au FLN, le parti Etat, ce conseil amorphe ne s'est que très rarement distingué. Il est sorti de son mutisme une fois en émettant une fetwa, inspirée des oulémas d'Egypte et du Koweït sur l'autorisation des greffes d'organes. Plus tard, comme dans tous les pays musulmans sunnites, l'absence d'une autorité religieuse a donné lieu à toutes sortes de dérives. Bénéficiant de la passivité des pouvoirs publics, des apprentis muftis, issus du courant islamiste, ont pris d'assaut les mosquées pour appeler au djihad et autoriser le meurtre au nom de l'islam. En prenant le maquis, les groupes armés s'adonneront aux pires perversions du Texte sacré. Ils pratiqueront le viol à grande échelle et inventeront le mariage de jouissance, un pacte ignoble qui n'existe nulle part dans le Coran. Ils proclameront impies tous ceux qui ne les soutiennent pas et lanceront ainsi une guerre sans merci contre les intellectuels, les éléments des forces de sécurité et les civils. D'où les sanglants massacres qu'a connus l'Algérie cette dernière décennie. En 1998, l'une des conséquences terrifiantes de leurs actes barbares indispose les pouvoirs publics. Des femmes kidnappées et violées sont engrossées. Pris à la gorge, le gouvernement ne sait que faire pour les délivrer de la semence indésirable. On tente de s'inspirer d'une fetwa d'El-Azhar qui autorise l'avortement des femmes bosniaques violées, durant la guerre civile, par les Serbes. Les oulémas d'Algérie hésitent. C'est l'ex-ministre de la Santé, Yahia Guidoum, qui prend en 1998 la décision salutaire en se basant sur la loi sanitaire autorisant l'avortement thérapeutique. Pourquoi l'Algérie a-t-elle attendu tout ce temps pour se doter d'une institution de fetwa ? En 1999, Bouteflika a sollicité les oulémas du Moyen-Orient pour condamner le “djihad” des islamistes. “Dar el-ifta' vise à mettre fin aux surenchères et à l'anarchie”, dit M. Saïdi du ministère des Affaires religieuses. Pourquoi maintenant ? Si la mesure est louable, d'aucuns pensent que son initiateur veut s'en servir pour faire admettre aux Algériens sa politique de réconciliation nationale. Le grand mufti d'El-Azhar, cheïkh Tantaoui, que le chef de l'Etat a rencontré, au Caire, s'est engagé à lui prêter main forte en apprenant aux Algériens la tolérance. S. L.