Les insurgés libyens, faiblement armés, peu entraînés, sous-encadrés et gonflés de romantisme révolutionnaire, auront appris que la guerre de mouvement comme la guerre de positions ne constituent pas un road movie se jouant sur l'autoroute entre Benghazi et Tripoli. Les jeunes rebelles, tels des Mad Max des temps actuels, ont subi hier de nouveaux revers face aux forces puissamment armées du colonel Mouammar Kadhafi. Mieux entraînées et autrement plus organisées, elles ont repris le contrôle de Ras Lanouf, forçant les jeunes révolutionnaires paniqués à se replier, dans un premier temps, plus à l'est vers Ras El Bréga, qui a été reconquise dans l'après-midi par les forces d'élite du colonel Mouammar Kadhafi. Les forces loyalistes, revigorées par l'absence de frappes aériennes de la coalition depuis soixante-douze heures, ont reconquis donc ces deux importants terminaux pétroliers à plus de 340 km à l'ouest de Benghazi et tombés aux mains des insurgés le 27 mars dernier. Pris sous d'intenses tirs de char et d'artillerie lourde, des centaines de rebelles ont, dans une première phase, fui en ordre dispersé vers El Bréga, à plus d'une centaine de kilomètres à l'est. Dans un second temps, ils ont reflué en meilleur ordre en direction de la ville d'Ajdabia, beaucoup plus sûre. Pour le moment. A l'Est, hier, les insurgés ne contrôlaient plus que les villes de Ben Jawad, Ras El Bréga, Ajdabia, Benghazi et, plus loin, El Beida, Dernah et Tobrouk. Plus à l'Ouest, les forces du colonel Mouammar Kadhafi contrôlent Ras Lanouf, Syrte - que les insurgés ont échoué à conquérir -, Khoms, Zliten, Tripoli, bien sûr, Zaouiya, Sebrata et Zentane. Ces trois dernières villes forment trois verrous stratégiques pour contrôler la région de Djebel Al Gharbi, frontalière de la Tunisie. Au Sud, précisément au Sud-Ouest, les troupes gouvernementales contrôlent les villes de Gharyane et Sebha, base de repli et d'approvisionnement stratégiques des unités fidèles au colonel Kadhafi. Reste le cas de Misratah. Cette ville stratégique est incertaine car elle est disputée par les deux camps qui en contrôlent des parties. Hier matin, les forces loyalistes ont attaqué de nouveau cette ville de l'Ouest en y tirant des obus de char et des roquettes. Au 28 mars, le bilan des bombardements pointe un total de 192 tirs de missiles BGM-109 Tomahawk américains et 7 britanniques lancés sur des objectifs divers, dont des avions au sol, des centres de commandement, des nœuds de transmission, des batteries antiaériennes et des blindés. On a enregistré aussi, au total, 1 602 sorties aériennes, 983 par des avions américains et 616 par d'autres appareils des coalisés. On compte dans cet ensemble 737 sorties d'aéronefs de combat, notamment 370 menées par des avions américains et 367 par des pilotes des autres forces de la coalition. Malgré ces chiffres déjà impressionnants, les frappes aériennes, à partir de navires de guerre et de sous-marins, ne semblent pas suffisantes pour les insurgés pour renverser le guide de la Jamahiriya. Plus le temps passe, plus la situation militaire se dirige vers le statu quo entre forces loyalistes et dissidents. Offensives et contre-offensives conduisent ainsi à la percée d'un camp, à la trouée de l'autre, au reflux du premier puis à l'avancée du second. Du point de vue du strict rapport de force, les frappes ne semblent pas assez efficaces pour permettre aux opposants de marcher sur Tripoli et de renverser par eux-mêmes le leader libyen. Malgré ces bombardements, la menace de l'enlisement pèse de plus en plus sur le conflit. Fournir donc des armes aux rebelles est une option de plus en plus évoquée. La France qui conduit l'opération l'Harmattan (alizé continental qui souffle de l'Est sur le Sahara et l'Afrique occidentale), la Grande-Bretagne qui mène l'opération Ellamy et les Etats-Unis qui réalisent l'opération Odyssee Dawn (Aube de l'odyssée) n'excluent plus désormais de fournir des armes aux opposants. L'option est de plus en plus évoquée même si la résolution 1973 des Nations unies ne le permet pas explicitement. Le cas échéant, de telles fournitures équivaudraient à violer la légalité internationale même si cette résolution stipule, dans une formulation vague et ambiguë, que la communauté internationale doit aider les civils libyens «par tous les moyens». Equiper en armes les révolutionnaires venus de l'est de la Libye nécessiterait, par conséquent, une nouvelle résolution de l'ONU, sauf à se limiter à la résolution 1973 dont certaines dispositions permettent des interprétations élastiques. D'autre part, si les résolutions 1970 et 1973 n'autorisent pas explicitement l'envoi de troupes internationales au sol, des agents de renseignement opérationnel et des membres des forces spéciales occidentales sont déjà présents sur le terrain, à l'est comme à l'ouest du pays. Officiellement, la coalition occidentale n'a pas d'hommes sur place. Mais dès la fin de février, des médias anglais avaient signalé l'intervention d'hommes du SAS, les fameuses forces spéciales de l'armée britannique pour exfiltrer des centaines d'employés des grandes compagnies pétrolières isolés dans le désert. Cette présence n'a finalement rien de surprenant car elle constitue une constante de l'histoire militaire. Ces hommes apportent leur savoir-faire en matière d'instruction, d'encadrement et d'orientation purement tactique. Des équipes réduites, parfois de trois à cinq hommes, dotées de moyens de transmission high-tech, ciblent des objectifs pour permettre aux avions de la coalition d'ajuster leurs frappes et éviter au maximum des «dommages collatéraux», euphémisme militaire désignant assez cyniquement des victimes civiles. Ces agents infiltrés opèrent souvent de nuit pour déterminer le potentiel en hommes et en blindés des forces de Kadhafi. Ils encadrent aussi les insurgés, les conseillent et leur apprennent notamment le maniement des armes antichars. A ces hommes des unités spéciales et du renseignement militaire, s'ajoutent des éléments pré-positionnés depuis des années en Libye et dans les pays frontaliers. La présence des uns et des autres est finalement une autre clé du conflit, l'aide que ces agents de l'ombre apportent aux insurgés pouvant s'avérer utile lorsque ces derniers recevraient ultérieurement des armes plus lourdes et plus sophistiquées que celles actuellement en leur possession. N. K.