L'impréparation des insurgés libyens à la guerre, manifeste sur le champ de bataille à travers une désorganisation qui confine parfois à l'anarchie, constitue désormais une source de réelle déstabilisation des pays riverains de la Libye : l'Algérie, la Tunisie, le Niger, le Tchad, le Soudan et l'Egypte. Plus que la Tunisie ou l'Egypte, l'Algérie est directement concernée. L'Algérie est d'autant plus concernée qu'Al Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi), serait l'acteur invisible de la guerre et le bénéficiaire, par ricochet, de la pagaille qui caractérise le théâtre des opérations depuis le début des combats entre les rebelles et les forces du colonel Mouammar Kadhafi. Des informations de sources diplomatiques occidentales font d'ailleurs état de la présence de terroristes d'Aqmi, parmi les insurgés, et d'armes que la filiale au Sahel d'El Qaïda aurait récupérées. La crainte d'acheminement vers le Sahel d'armes issues du saccage des stocks de l'armée libyenne, notamment de missiles sol-air de type SA-7 Grail, divise profondément la coalition occidentale au sujet de l'armement des rebelles. Soucieux de mettre un peu d'ordre et d'y voir plus clair, les Etats-Unis ont d'ailleurs déployé de nouveaux agents de la CIA en Libye, avec la mission d'aider à organiser une chaîne de commandement des insurgés et de mieux guider les raids aériens. L'inquiétude des états-majors est telle aujourd'hui que les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et la France, promoteurs de l'idée d'armer les insurgés, hésitent désormais à fournir des équipements qui risquent de se retrouver aux mains de terroristes plus aptes à en faire un «meilleur» usage. Même l'Otan, qui dirige désormais l'embargo sur les armes à destination de la Libye et les frappes contre les forces loyalistes, est opposée à toute livraison d'armes aux opposants libyens. Le Premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, a, lui, davantage mis l'accent sur le risque de dissémination d'armes en provenance du champ de confrontation libyen. En visite, jeudi dernier, à Londres, il a estimé que fournir des armes aux rebelles libyens pourrait «favoriser le terrorisme». De son point de vue, la désorganisation des insurgés et leur manque de professionnalisme «créent un environnement favorable au terrorisme». Les craintes du Premier ministre turc se recoupent avec des affirmations du président tchadien Idris Deby qui est «sûr à 100% qu'Aqmi a récupéré des missiles sol-air» libyens. «Les islamistes ont profité du pillage des arsenaux en zones rebelles pour s'approvisionner en armes, y compris des missiles sol-air, qui ont été par la suite exfiltrés dans leurs sanctuaires du Ténéré», la partie centrale du Grand Sahara (Sahara nord-africain et sahélien), a-t-il déclaré à Jeune Afrique. Les inquiétudes des uns et des autres en Occident et les certitudes du chef de l'Etat tchadien sont partagées par des sources diplomatiques et de renseignement françaises citées mercredi 30 mars par Le Canard enchaîné. Selon l'hebdomadaire satirique parisien, relais crédible des ministères des Affaires étrangères et de la Défense français, l'aide d'Aqmi aux opposants libyens serait d'abord financière. Elle aurait été facilitée par les récentes rançons touchées par Abdelmalek Droudkal et ses lieutenants en échange de la libération de certains de leurs otages occidentaux. Sous la plume de son rédacteur en chef Claude Angeli, le Canard évoque aussi, de mêmes sources, le risque qu'Aqmi aurait récupéré des armes, à la faveur de l'anarchie qui a marqué les premiers jours enthousiastes de la «révolution du 17 février» dans l'Est libyen. Les sources du Canard enchaîné sont, en revanche, plus prudentes au sujet d'une éventuelle présence d'éléments d'Aqmi dans l'encadrement de l'insurrection. A contrepied de l'amiral James G. Stavridis, commandant suprême des forces américaines en Europe et l'un des chefs stratégiques de l'Otan, qui a déclaré devant le Congress qu'Aqmi «prendrait même part aux combats, se mêlant aux insurgés désorganisés». Pour évaluer le risque représenté par le renforcement militaire de la menace d'Aqmi, il faut notamment apprécier sa possession éventuelle de missiles sol-air comme le Strela-2 9K32, de fabrication soviétique, plus connu sous le nom de code Otan de SA-7 Grail, dont il existe des versions améliorées chinoise et pakistanaise. Cet engin de courte portée et à guidage infrarouge ressemble au fameux Stinger américain, appelé aussi Red Eye. Ce missile présente l'avantage de se porter à l'épaule, de produire très peu de signaux détectables et de porter une puissante ogive explosive. Bien qu'il soit limité dans sa portée, en termes de vitesse et d'altitude, avec un plafond de 4 200 mètres pour le HN-5 chinois, il a prouvé son efficacité dans divers conflits, particulièrement en Afghanistan où il a causé des dommages considérables aux hélicoptères. Il peut tirer sur des cibles volant à moins de 1 000 km par heure, à 750 mètres d'altitude minimum et jusqu'à 4,2 km de distance. La présence de SA-7 sur un champ de bataille oblige, par ailleurs, les avions de guerre à voler au-dessus du seuil de vulnérabilité, fixé entre 4 000 et 5 000 mètres. Au-dessous de ce niveau de fragilité, les appareils s'exposeraient alors au danger représenté par le SA-7 et les autres systèmes de défense antiaérienne. Le conflit libyen a également des conséquences collatérales d'un point de vue géostratégique. Pour des raisons militaires évidentes, le colonel Mouammar Kadhafi a été contraint de retirer des unités importantes chargées en temps de paix de surveiller un vaste territoire compris entre ses frontières avec l'Algérie et le Niger. Ces forces contrôlaient des passages «vitaux et importants», dans les régions de l'erg Merzoug et Oued Bardjouj. Leur retrait a, de facto, transformé ces vastes zones en une sorte de no man's land, zones ouvertes propices aux déplacements de groupes terroristes et autres contrebandiers et trafiquants d'armes de tout acabit. Ce vaste sous-ensemble régional est compris dans un terrain plus grand représenté par les territoires situés entre le Tibesti au Tchad, le Tassili n'Ajjer en Algérie et le plateau de Djadou au Niger. Au total, une zone immense d'un peu plus d'un million de kilomètres carrés. L'absence de toute surveillance de ces territoires, combinée au risque de dissémination du terrorisme et de la prolifération d'armes dans le Sahel, sanctuaire d'Aqmi, a contraint l'armée algérienne à dépêcher d'importantes unités terrestres à la frontière avec la Libye. Ces forces, appuyées par des unités de la gendarmerie, des gardes-frontières et des forces spéciales, bénéficient d'une importante couverture par des hélicoptères de combat et des avions de chasse et de reconnaissance, notamment des MI-24V, des Mi-171 et des Mi-35K, ainsi que des Sukhoï 24 MK et des Mig-29S. Ce dispositif exceptionnel a été déployé à partir des 4ème, 5ème et 6ème régions militaires durant plus de trois semaines. Ces unités de l'ANP surveillent avec une vigilance accrue la région de Oued Tafassesst, nœud stratégique entre les monts du Tassili et les zones ouest du Niger, frontalières du sud-ouest de la Libye. Ce dispositif est venu renforcer le système de surveillance opérationnel en temps ordinaire. L'état-major de l'ANP semble avoir mis en place un plan de sécurité des temps de crise, aussi inédit qu'impressionnant. Il vise à rendre les frontières avec la Libye et le Niger les moins poreuses possibles, réduisant ainsi, au maximum, le risque d'infiltration du territoire algérien par des groupes armés venus de Libye, à la faveur du conflit armé qui s'y déroule. Il vise aussi à y disposer d'un système de veille stratégique permettant de contrôler d'éventuels mouvements d'acheminement d'armes en direction d'Aqmi. N. K.