L'incendie européen n'est toujours pas éteint. Exactement un an après la mise en place du plan de sauvetage de la Grèce de 110 milliards d'euros, après les départs de feu en Irlande, au Portugal, en Espagne, le vent ramène les flammes autour d'Athènes. Les taux d'intérêt exigés pour les emprunts grecs sont remontés au-dessus de 15% après l'évocation par Wolfgang Schäuble, le ministre allemand des Finances, d'une «restructuration volontaire» de la dette de ce pays, puis, de la nouvelle évaluation du déficit à 10,5% du PIB, contre l'objectif officiel de 9,4%.Le gouvernement Papandréou a illico annoncé un renforcement des mesures d'austérité, mais peine perdue : les marchés financiers sont convaincus de l'incapacité de la Grèce à rembourser sa dette de 340 milliards de dollars. Le pays est insolvable à leurs yeux.La question est évacuée en public par les gouvernements européens, mais elle se pose évidemment : faut-il donner raison aux marchés et restructurer la dette grecque ? Est-ce nécessaire pour éteindre une bonne fois pour toutes l'incendie de la zone euro ? Ou est-ce au contraire rallumer les doutes sur les autres pays en crise ? Depuis un an, les dirigeants européens ont répondu comme il fallait aux attaques des marchés. Plan d'aide en Grèce, en Irlande, puis au Portugal. Mise en place d'un mécanisme européen de stabilité (ESM), fonds permanent de soutien, qui marquent une avancée considérable vers le fédéralisme budgétaire et fiscal. Enfin, adoption d'un pacte de compétitivité qui, sur le moyen terme, doit éviter qu'une crise renaisse de divergences macroéconomiques entre les pays membres.Seulement, ces réformes ont toutes été tardives. Au rythme des politiques, la vitesse est vertigineuse ; au rythme des marchés, elle a entretenu les doutes. L'interrogation actuelle des traders ne concerne plus une crise de liquidité, l'impossibilité des pays périphériques à lever des emprunts, mais une crise de solvabilité, leur faculté de rembourser. Sur la Grèce, leur doute est certitude. La dette atteint 150% du PIB. Pour la stabiliser, il faut un plan de rigueur qui économise, suivant les hypothèses, entre 7 et 14% du PIB d'ici à 2015, selon l'institut Bruegel. Pour ramener cette dette dans les critères de Maastricht (à 60% du PIB), l'effort est porté entre 12 et 18% du PIB. Aucun pays de l'OCDE n'a jamais fait mieux que 6%. La cure infligée aux Grecs est sans précédent.Le plan européen a eu beau ramener le taux d'emprunt à 4,2% et allonger les échéances de trois ans, cela ne suffira pas, loin de là. Le pire scénario est que, à forcer la dose, on enferme le pays dans l'austérité, privant l'Etat grec de recettes fiscales, l'obligeant à en rajouter encore dans l'austérité et l'entraînant dans une spirale sans fin. Bientôt, la population grecque, qui a jusqu'ici accepté de se serrer la ceinture, refusera. Le seuil d'acceptabilité sociale et politique sera dépassé.Mais les objections sont nombreuses et justifiées. Après la Grèce, pourquoi pas l'Irlande (dette à 110% du PIB) ? Ou le Portugal (dette à 90% du PIB) ? Les marchés ayant obtenu gain de cause redoubleront de force dans leurs attaques. Deuxième objection : annuler des créances va mettre le système bancaire grec au tapis, ce qui va se répercuter sur les banques créancières, allemandes et françaises en premier. Bref, l'effet contagion sera dévastateur.In fine, dernière objection : restructurer serait admettre qu'un pays de l'euro peut faire défaut. Ce serait faire une tache indélébile sur l'euro. La crédibilité de la monnaie commune, fruit du travail acharné de la Banque centrale européenne, payée depuis dix ans par des taux d'intérêt plus forts que pour le dollar, cette crédibilité serait abîmée.Ces risques sont gros. La tentation est forte de dire, «à l'allemande» : les Grecs ont fauté, qu'ils paient. Hélas, le risque inverse est supérieur : celui d'une explosion sociale qui conduira le gouvernement d'Athènes à faire défaut dans la confusion. La raison pousse donc à organiser les choses et à tirer un trait sur une partie (un tiers ?) de la dette pour ramener l'effort demandé dans les limites, déjà sévères, du possible.La contagion doit être prévenue en parallèle par une mise au clair des situations réelles de l'Irlande et du Portugal, et, d'une façon globale, des banques européennes. Le plan est de tout annoncer ensemble : tel défaut pour tel ou tel pays, pour telles conséquences. Jouer, en somme, un coup d'avance sur les marchés. Et croiser les doigts pour que le hasard ne mette pas le feu ailleurs. E. L. B.