C'est l'un de ces rares ouvrages dont on peut commencer la présentation par la mention «à lire», sans pour autant se sentir coupable de subjectivisme ou parti-pris. Et pour cause, l'auteur de l'essai politique De quoi la Palestine est-elle le nom ?, Alain Gresh, ne fait pas étalage de «sa vérité», mais se contente juste d'exposer «la vérité», historique et documentée. Il l'écrit d'ailleurs noir sur blanc dans l'Avertissement : «Ce livre est un ‘‘essai''. Le nombre de notes et des références – dont beaucoup son désormais facilement ‘‘traçables'' sur Internet – a été volontairement réduit. Il emprunte néanmoins largement à une littérature plus qu'abondante sur le sujet. J'ai puisé sans modération dans d'innombrables articles, dans plus de livres que je ne pourrais me souvenir […], mais le plus grand nombre, toutes ces lectures qui m'ont façonné, inspiré, révolté, toue cette masse de savoir qui ne peut sûrement pas s'enfermer dans un carcan comptable ou dans une quelconque ‘‘propriété intellectuelle'', restera enfoui et aura servi pourtant de fondation à ce travail.» Quand le drame palestinien est projeté aux devants de la scène Avant d'entrer dans le vif du sujet, M. Gresh - dont la mère est juive communiste et le père copte égyptien, qui n'est autre qu'Henri Curriel, grand ami de l'Algérie - introduit le livre par un prologue dans lequel il rend compte d'une réalité, la réalité qu'il a vécu enfant au Caire, au tout début des années 1960. Au-delà du témoignage qui rend compte du malaise des juifs, arabes en général et égyptiens en particulier, intégrés et «déconnectés» du projet, voire opposés, de création de l'état d'Israël, découvrant les premiers relents de l'antisémitisme, l'importance de cette introduction réside dans sa restitution de l'ambiance et du contexte politiques dans lesquels le drame palestinien «a pris une place centrale» dans la région et le monde.Après ce récapitulatif, M. Gresh revient à l'histoire qu'il rendra en usant de la seule manière connue pour rapporter des faits : en commençant par le début, sans omettre ni escamoter la moindre vérité historique, avec références et citations documentaires à l'appui. Evidemment, une lecture de l'histoire n'empêche pas les commentaires, et l'auteur, faisant preuve d'une honnêteté intellectuelle, qui ne s'est jamais démentie, assume pleinement «les points de vue exprimés» dans les pages son ouvrage et les «erreurs éventuelles qu'elles contiennent».Et le début, non pas du drame palestinien mais de la suprématie et du sentiment arrogant de supériorité de l'Occident qui l'engendreront, M. Gresh le situe à la naissance des Nations Unies, le 25 juin 1945, dont la création a été annoncée par Jan Smuts, le premier ministre de l'Afrique du Sud, où l'apartheid sévissait. C'est dire la perception qu'avait cet Occident, qui se proposait de construire le monde de demain, sans guerres ni conflits, des peuples de ce qu'on appellera «le Tiers monde». C'est cette perception qui a produit le concept du «colonialisme civilisateur» que les sionistes et tous les colonisateurs ont repris pour justifier l'occupation des terres de ces peuples «sauvages» auxquels ils apportent leur civilisation - qu'ils érigeront sur leurs terres -, même s'il faut la leur imposer par la force des armes. «Dès l'origine, les idéologues du ‘‘retour des juifs'' en Palestine partagent deux traits majeurs de la pensée coloniale : la conviction d'œuvrer ‘‘pour le progrès, contre la barbarie'', et l'obligation de trouver une puissance protectrice pour leur entreprise», écrit l'auteur. Les ennemis et mes amis sont mes amis, la politique des sionistes Paradoxalement, Israël doit sa création aux antisémites qui seront, souvent, les premiers à soutenir le projet sioniste, car il leur «permettait de se débarrasser des juifs en les envoyant dans un pays tiers», la Palestine. «Je ne vois pas d'autres moyens de nous protéger des juifs sinon de conquérir leur terre promise pour eux et des les y envoyer tous», écrivait, au 18ème siècle déjà, le philosophe allemand Johann Gottlieb Fichte, cité par l'auteur. Et le soutien à la création d'un état israélien grandira à mesure que se développe l'antisémitisme en Europe. «L'homme qui fît adopter en 1905 par le Parlement britannique la loi la plus restrictive contre l'immigration juive ne fut autre que lord Arthur James Balfour, celui-là même qui ‘‘promettra'' la Palestine aux juifs douze ans plus tard», rappelle M. Gresh. Pis, les idéologues sionistes se réjouissent de cet antisémitisme et des persécutions qui en découleront, car ils auront aussi pour conséquences l'augmentation de l'émigration des juifs vers la Palestine.Ainsi, l'ennemi d'hier devient la «puissance protectrice» qui veillera à la création d'Israël en fermant les yeux sur toutes les spoliations et expulsions des palestiniens de leurs terres et de leurs villages. Mais tous les israélites ne sont pas israéliens, tous les juifs authentiques ne soutiennent pas la création d'Israël qu'ils considèrent comme une hérésie. Un exemple parmi tant d'autres que citera l'auteur est la réponse de Marek Edelman, qui a mené de l'insurrection, en 1943, du ghetto de Varsovie, à une journaliste israélienne qui lui demandait s'il n'était pas «logique» que les Juifs fassent tout pour survivre : «Ça, c'est votre philosophie d'Israélienne, celle qui consiste à penser qu'on peut tuer vingt Arabes pourvu qu'un Juif reste en vie. Chez moi, il n'y a de place ni pour un peuple élu ni pour une terre promise […]. Israël s'est coupé de Yitzkhok Leybush Peretz (écrivain et poète de langue yiddish, 1852-1915, de Chagall, du yiddish. Israël s'est créé sur la destruction de cette immense culture juive multiséculaire qui s'était épanouie entre la Vistule et le Don. La culture israélienne, ce n'est pas la culture juive. Quand on a voulu vivre au milieu de millions d'Arabes, on doit se mêler à eux et laisser l'assimilation, le métissage, faire son œuvre […]. D'ailleurs, seule une minorité de juifs a émigré en Israël : l'écrasante majorité des juifs s'est exilée au Canada et aux Etats-Unis.» La création d'un état palestinien, une issue logique et inéluctable Pourtant, l'Occident continue de soutenir de manière indéfectible et éhontée Israël et sa politique d'occupation expansionniste et meurtrière. Mais ce soutien est, aujourd'hui, en train de jouer contre Israël et ses protecteurs. L'auteur note, à juste titre, que «les bouleversements géopolitiques du monde actuel se retournent progressivement contre l'Etat Juif. Car, c'est désormais cette domination de l'Occident, non seulement militaire, mais aussi économique, culturelle et médiatique, qui est remise en cause […], en cette aube du troisième millénaire, écrit-il plus loin, l'initiative est reprise par quelques pays émergents» et des peuples arabes qui s'élèvent contre leurs dirigeants, faisant perdre à Israël cette paix de voisinage qu'elle entretenait, avec l'aide, financière et politique, des Etats-Unis et de l'Europe. La violence ne peut mettre Israël à l'abri des changements qui se profilent. La création d'un Etat palestinien n'est que l'issue logique d'un processus à l'enclenchement duquel les manœuvres, les violences et l'aveuglement des responsables israéliens et leurs soutiens ne sont pas étrangers. User de la violence aveuglément et de l'injustice criarde ouvertement et en toute impunité ne pouvait que contribuer à aplanir les différends entre les Palestiniens et à grossir le nombre des pays qui, rejetant la domination des colonisateurs d'hier et d'aujourd'hui, encourageront et soutiendront leur rapprochement et la création inéluctable de l'Etat Palestinien. A vouloir saborder le projet, comme il l'a fait avec le processus de paix, Israël ne fait que scier la branche sur laquelle il est assis et précipiter sa chute. Et De quoi la Palestine est-elle le nom décortique justement toutes les manœuvres, manipulations qui ne pouvaient qu'aboutir à cette situation. On ne peut évidemment rendre par le détail les analyses pointues d'Alain Gresh. Aussi, nous contenterons-nous de conseiller vivement sa lecture. H. G.