L'exposé donné par Mourad Boukella, professeur à la faculté des sciences économiques et de gestion d'Alger et directeur de recherche au CREAD, lors d'une conférence -débat organisée par la fondation Friedrich Ebert, dimanche dernier à Alger, sous le thème «politiques agricoles, dépendance et sécurité alimentaire», a été qualifié par plusieurs intervenants de «provocateur» car le conférencier s'est évertué à défendre une thèse selon laquelle «l'Algérie n'est pas un pays à vocation agricole» et a remis en cause toutes les politiques agricoles menées jusqu'ici. Aux yeux de M. Boukella, le pays doit se préparer à affronter quatre grands défis : la préservation des ressources en terre arable et en eau, la résolution du foncier agricole, le défi de la reconstruction des articulations agriculture/industrie et en dernier la redéfinition du mode d'insertion de notre économie alimentaire. «Avons-nous réellement les moyens de relever ces défis ?» s'interrogera-t-il. S'agissant de la préservation des terres agricoles utiles et des ressources en eau, le professeur soulignera que, pour y répondre, «il faudra commencer par exclure le mythe de la vocation agricole de l'Algérie». Et de lancer : «L'Algérie n'a aucune vocation agricole pour la simple raison que nous sommes un pays semi-aride et dont les ressources en terre arable et hydriques sont très fragiles et faibles.» Pour étayer son propos, il s'appuiera sur quelques constantes, celle de la surface agricole utile (SAU), estimée à 8 millions d'hectares, soit 3% du territoire national, et celle de la répartition par tête d'habitant dont le rapport est de 0,25 ha/h. «Un taux des plus faibles, comparativement à ceux des pays du Bassin méditerranéen», a indiqué le chercheur qui estime que ce faible taux ne peut être revu à la hausse. «Les pluies sont de plus en plus rares et de surcroît irrégulières, un facteur défavorable pour l'activité agricole», arguera le professeur. «A partir de ces indices, je crois qu'il n'y pas lieu de parler de vocation agricole de l'Algérie», conclut-il. Partant de cette conclusion, l'invité de la fondation Friedrich développera sa propre vision du problème. «C'est parce que l'Algérie n'a pas cette tendance qu'il faudra réfléchir par deux fois pour arriver à assoir une véritable politique agricole qui puisse faire face aux aléas climatiques. En clair, l'action de l'homme peut arriver à surmonter de tels facteurs climatiques négatifs, c'est-à-dire peut jouer énormément sur la vocation agricole d'un pays», dira-t-il. Pour appuyer sa thèse, M. Boukella citera l'exemple de pays voisins : «Pour des conditions climatiques similaires, les rendements agricoles ne sont pas les mêmes et arrivent même à des performances sur la production céréalière et de la pomme de terre.» Dans cet ordre d'idées, le conférencier s'étonne de ne pas avoir rencontré de données sur le nombre réel de terres agricoles qui ont perdu leur vocation depuis l'indépendance du pays. «Tout ce que j'ai pu relever, ce sont les 500 000 hectares mis en valeur par le biais du PNDA», dira-t-il. A propos des politiques agricoles successives menées jusqu'ici, M. Boukella affirmera dans son exposé qu'«elles ont continué à fonctionner selon la logique qui consiste à parer au plus pressé et à remettre à plus tard les préoccupations nécessaires du renversement du modèle agro-importation». «Les réformes de 1987 et le PNDA ont aussi laissé en suspens les problèmes fondamentaux et leur résolution se pose aujourd'hui avec beaucoup d'acuité. C'est le cas de notre balance agroalimentaire qui reste encore déficitaire», affirme-t-il. «Nous sommes dans un système agroalimentaire entièrement dépendant des importations, ce qui risque de porter atteinte à notre sécurité alimentaire», déclare le professeur qui, soutenant que la sécurité alimentaire ne dépend ni exclusivement ni même principalement de l'agriculture et des politiques agricoles, affirme qu'elle est «avant tout affaire de niveau de développement économique général». Au cours des débats qui ont suivi la conférence, les intervenants ont reconnu qu'il est impératif de donner la priorité à la formation et à la recherche dans le domaine agricole, car ce sont là les prérequis du développement de l'agriculture.