La question de la sécurité alimentaire ne doit pas être assumée uniquement par l'agriculture, mais doit être portée par l'ensemble des secteurs de l'économie nationale, a estimé l'expert Mourad Boukella dans une conférence qu'il a animée, dimanche soir, au siège de la fondation allemande Friedrich Ebert. L'Algérie, qui est un pays semi-aride, n'a pas de vocation agricole et le déficit dans la balance agricole devrait être supporté par d'autres secteurs productifs tels que l'industrie, a expliqué ce directeur de recherche au Centre de recherche sur l'économie appliquée et du développement et professeur à la faculté des sciences économiques et de gestion d'Alger. Le conférencier notera d'emblée que « près d'un demi-siècle après l'indépendance et malgré toutes les politiques, la question agricole et alimentaire est encore irrésolue ». « Nous avons toujours cette épée de Damoclès qui menace d'exposer notre population à une crise alimentaire », avertit-il en soulignant que l'Algérie s'est enlisée dans le modèle agro-importateur étant presque entièrement dépendante sur le plan alimentaire du marché international. Une telle dépendance peut avoir de graves conséquences dans la mesure où « le pays risque de perdre la mesure de son propre destin », relève M. Boukella. L'expert citera un dicton sénégalais selon lequel : « Qui tient son alimentation, tient sa dignité », pour étayer ses dires. D'après lui, la découverte de richesses durant les années cinquante dans le sous-sol du Sud a été fatale pour l'agriculture. « Il y a eu déplacement du capital de l'agriculture en crise vers les hydrocarbures », affirme-t-il à ce propos. Cette politique a réduit les exportations agricoles de l'Algérie de façon substantielle au point où la domination des exportations des hydrocarbures dans la structure du commerce extérieur s'est installée en 1963. Selon M. Boukella, le reproche que l'on peut faire aux pouvoirs publics est de privilégier à travers les subventions « une logique de contrôle de l'alimentation de la population par rapport à une logique de développement agricole ». « On continue à avoir recours à des mesures d'urgence. Même le Plan national de développement agricole (PNDA) a été lancé en 2000 pour parer au plus pressé sans chercher le reversement du modèle agro-importateur », a-t-il ajouté, plus explicite. « Les politiques agricoles adoptées jusqu'à présent ont laissé en suspens les problèmes fondamentaux », a-t-il avancé encore. Le problème du foncier agricole est l'un des défis les plus importants que devrait prendre en charge une politique mûrement réfléchie, poursuivra M. Boukella. « La surface agricole utile ne représente que 3% de tout le territoire national, alors que le taux par habitant n'est que de 0,254 ha, soit le plus faible de la Méditerranée », a-t-il mentionné. Poursuivant sur la lancée, il fera savoir que des milliers d'hectares disparaissent absorbés par le béton ou à cause de phénomènes naturels, comme la désertification et la remontée des sels. Les terres agricoles sont également menacées par le morcellement qui a déjà été à l'origine de la réduction de la taille des exploitations. « Il est difficile d'appliquer des politiques agricoles sur des exploitations de petite taille. Le problème du remembrement n'a toujours pas été posé par les pouvoirs publics », observe l'expert.