Dix ans apr�s, tu n'es plus l�, tu es parti. Tu ne reviendras point. Le soleil ne se l�ve plus sur les montagnes et ne brille plus sur la Kabylie. De mon c�t� �galement, mon soleil a cess� de briller. La chaleur s'est rafra�chie. "tassaw turwed asemmid." J'ai froid en proie � l'effroi. Fr�re de langue et de c�ur, ami d'enfance et d'�cole, camarade de route et de joute, compagnon de lutte et de combat. Depuis, le deuil gagne les c�urs et s'y installe. Les interrogations sont interminables. Le silence est pesant, un silence de mort, ta mort, Matoub Loun�s. Dix ans apr�s, la com�die continue, plut�t la trag�die dans laquelle a �t� mise en sc�ne ta disparition, symbole de la d�mocratie et chantre de la chanson kabyle de la libert�. Ta mort sonne le glas et nous annonce un changement, un grand vide en Kabylie : ta voix �teinte a emport� avec elle l'�lan que tu avais jusque-l� suscit� par tes vifs messages d'espoir. Une voix s'�teint, un homme tombe, un militant meurt et l'artiste demeure � jamais. Matoub, je te croyais immortel, il me semble bien que tu le sois m�me apr�s ta mort. Oui, tu vivras en immortel dans nos c�urs, dans nos m�moires et dans nos oreilles. Ta chanson vit et vivra encore. Dix ans apr�s, je pleure ta mort, je regrette ton absence. Tu me manques. Tu manques � ta famille, � tes fans et � ton peuple : tamurt est orpheline. Artisan du mot, artiste du verbe, amateur du sens et animateur du contre-sens, tu es le moteur et promoteur de la rh�torique � l'ancienne comme le faisaient les grands orateurs tribains dans la tradition kabyle et berb�re. Fiert� et orgueil � Tamazgha, � la Kabylie et � ton village qui t'a vu na�tre un jour, un jour du mois de janvier de l'ann�e 1956 et qui t'a vu mourir un autre jour, un jour du mois de juin de l'ann�e 1998. Tu as grandi ta patrie, tu as brandi ta montagne et tu as honor� ton peuple. Tu trouveras dans ma missive, cette lettre posthume, toute ma gratitude pour tes actes que tu as pos�s et tes actions que tu as men�es. Inscrite dans le d�terminisme et le r�alisme, ton �uvre en t�moigne au quotidien. Par le sceau ind�l�bile de ton empreinte, tu as marqu� le flux et le reflux des souvenirs dans la m�moire collective. Tu en as fait, tu en as beaucoup fait, m�me si la mort t'a arrach� � l'or�e de la maturit�. Tu es n� le 24 et tu es mort le 25 : un jour de ta vie a �t� plus fertile que la vie st�rile de tes bourreaux et de tes fossoyeurs. Dix ans apr�s, le myst�re de ta mort est toujours l�, il n'est pas �lucid�, il a �t� m�me �lud� par certains pour ne pas dire la v�rit�. Le terrain de ta mort est parsem� de cryptes et de zones d'ombre. L'affaire, complexe, se complique encore plus, allant d'un secret de Polichinelle � un secret d'Etat. Point de proc�s, point de jugement et point de verdict. Qui est l'auteur et qui est coupable de ton assassinat ? L'interrogation se poursuit... Hier, je suivais ta logique et aujourd'hui je suis ton regard : il y a convergence au m�me point, au point de d�part, au point mort, au point de ta mort. Tu sais donc les causes ! Tu connais �galement les auteurs ! Dis-moi ! Dis-nous ! Nous n'en savons rien, plut�t nous avons peur de savoir. Est-ce pour cel� que tu ne veux pas dire ? Paix � ton �me, gloire � ton �uvre. Tu es une l�gende. Tu passes � la post�rit�. Tu entres dans l'Histoire par la grande porte et en grande pompe. J'ouvre le livre d'Histoire � la page qui t'est consacr�e, �crite de ta propre main. Dix ans apr�s, ton �me ne s'est pas apais�e et ma douleur ne s'est pas estomp�e. Tes criminels vivent � l'ombre de l'injustice. Je me pose des questions comme tant d'autres personnes � la recherche de la justice � propos de la mort du juste : Qui est le cerveau pers�cut�, qui a concoct� et commandit� l'ordre ? Qui est le bras amput� et imput�, qui a r�percut� l'ordre ? Qui est la main rapport�e, qui a ex�cut� l'ordre, l'ordre de tuer ? Les criminels � la conscience noire, aux mains sales se d�masqueront- ils un jour ? Continueront-ils � garder leur terrible secret ? Puisse ce secret les ronger jusqu'au dernier souffle et leur procurer d'affreuses tortures morales. Il n'y aura pas de ch�timent assez lourd pour eux. Ton ombre viendra poindre chaque nuit pour hanter leur sommeil : �d'anzaw ar awen-d isawlen�. Ce sera une maigre consolation pour moi. Pour ma part, je ne faiblis pas et n'abandonne pas, comme je n'oublie pas et ne pardonne pas. Ainsi, je poursuis dans ma qu�te et formule ma requ�te dans laquelle je demande solennellement � la justice de passer pour faire toute la lumi�re sur l'assassinat du fid�le et loyal militant. De l� � l'Au-del�, Matoub, tu es toujours l�. Salut l'artiste.