Photo : M. Hacène Par Fodhil Belloul Si la patience est la mère des vertus, les organisateurs du FNTP nous ont à coup sûr rendus plus vertueux. Au 7eme soir du festival, lundi dernier, nous avons enfin pu assister à une représentation de qualité. Mostanquaa Edhiib (Le marécage du loup) du Théâtre régional de Batna est une pièce réussie à tous points de vue. Mise en scène par Fouzi Ben Brahem, cette pièce est une adaptation de l'œuvre de l'écrivain suisse-allemand Friedrich Durrenmatt «Frank V». L'histoire tragi-comique d'un couple de financiers, Frank le cinquième et son épouse, et des employés de la Banque qu'ils gèrent. Etablissement menacé de liquidation au fil des opérations véreuses et maladroites des acteurs. Alors, une énième pièce morale sur le pouvoir de l'argent ? Pas évident, car si morale il y a, elle est diffusée en toute subtilité.Pour prologue, un acteur annonce dans une allure shakespearienne : «Nous sommes un gang», «La rapine et la corruption ne sont pas propres aux hommes d'Etat». Le ton est donné, et le rideau se lève sur un décor digne des meilleurs films de David Lynch. Les murs rouge sang d'un café, et des acteurs uniformément vêtus de combinaisons gris métallique, qui s'affairent sur scène, se saluent, entrent et sortent dans un rythme rappelant le tourbillon humain du monde de Wall Street. A table, deux jeunes «débarqués» évoquent les possibilités d'avenir dans la nouvelle ville. Un serrurier et un gratte-papier vite repérés par le patron de la banque qui leur promet une ascension financière fulgurante. Deux scènes plus tard, notre pauvre serrurier n'en peut plus, et souhaite démissionner. Il est liquidé, sur décision unanime, parce que capable d'avoir fabriqué un double des clés du coffre. L'un des points les plus forts de la pièce se révèle à ce moment : l'écrasante domination du groupe ou de l'entité financière qu'il forme sur le désir individuel. Et les exemples ne manquent pas pour illustrer cette volonté du metteur en scène. Que ce soit dans la dérision ou le cynisme des répliques, étouffant toute empathie chez les employés. Les rires sardoniques et collectifs, poussés au délire. Les phrases en chœur qui tombent comme un couperet pour interrompre le jeu, à chaque fois qu'une leçon de finances (d'arnaque en fait) est livrée.Le déplacement des acteurs est des plus ingénieux. Nous avons véritablement l'impression d'être en face d'une meute de loups qui encerclent le moindre réfractaire à la doxa, celle du toujours plus. Mais la stabilité du groupe est menacée par les ambitions individuelles, et les opérations ratées de certains. La banque va être liquidée pour cause de surendettement. Réunion de crise, les acteurs, littéralement assis à l'avant scène, décident, sous l'impulsion du couple dirigeant, d'épurer leurs caisses noires pour sauver l'établissement. Méfiance et chuchotements…L'effet de distanciation brechtien, même s'il peut paraitre dépassé aujourd'hui, est utilisé à bon escient. Un acteur descend de scène et prévient les spectateurs quant à la suite des événements ou encore, revient par un effet flash back des plus drôles sur un moment de l'histoire pour éclairer la narration. L'intrigue se révèle : après avoir remis leurs «économies» pour sauver la banque, le patron et trois employés viennent, chacun croyant être le seul, cambrioler le fameux coffre. La cupidité a pris le pas sur la culture d'entreprise. Et Frank le cinquième sera trahi par ses propres enfants. L'immoralité atteint son point culminant. Le couple ayant fait des rejetons à leur image, payera de sa vie. Standing ovation pour la troupe du théâtre régional de Batna qui a enfin étanché la soif des amoureux du 4ème art, il faut dire qu'au bout d'une semaine, ils frôlaient la déshydratation.