L'Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep) et l'Agence internationale de l'énergie (AIE) ne voient pas de la même manière l'évolution des marchés pétroliers. Il y a quelques jours, l'AIE a alerté l'Opep sur les «tensions persistantes» sur les marchés pétroliers. Elle a évoqué la possibilité de recourir aux stocks stratégiques si la situation perdurait. «Nous sommes prêts à réagir à tout moment si nécessaire», a déclaré son président, le Japonais Nobuo Tanaka. Jeudi dernier, elle a décidé de le faire. Elle va puiser soixante millions de barils de pétrole dans les stocks stratégiques des pays qui en sont membres, pour compenser l'arrêt des exportations libyennes, une mesure dont a fait état le directeur général de l'organisation, Nobuo Tanaka. Ce dernier estime qu'une interruption longue et complexe à gérer de la production libyenne est désormais «inévitable». L'agence précise par ailleurs que sur les cinq prochaines années, la demande pétrolière devrait progresser «plus rapidement que prévu» dans les pays émergents. L'Agence internationale de l'énergie semble n'avoir pas apprécié la décision prise par l'Opep le 8 juin, une mesure consensuelle au terme de laquelle l'organisation pétrolière a maintenu inchangés ses quotas de production. En optant pour cette décision, l'organisation a mis en avant des arguments qui se tiennent mais qui ne se rapprochent pas forcément de ceux développés par l'AIE ; les deux organisations ne regardent pas dans la même direction parce qu'elles n'ont pas les mêmes intérêts. L'Opep estime que les marchés sont suffisamment approvisionnés et qu'il n'y a pas de raison de réaménager les quotas de production. De plus, la demande pétrolière est en train de se reprendre, ainsi que le relève l'Opep. Une vision pas toujours conforme aux prévisions projetées par les experts de l'Agence internationale de l'énergie. Celle-ci a revu à la baisse, il y a quelques semaines, ses prévisions de demande pétrolière mondiale. La réduction dont elle avait fait mention dans ses rapports est sensible. L'agence table sur un recul de la demande en Amérique du Nord cette année, contre une légère hausse auparavant. L'AIE ne croit pas que la consommation des pays émergents puisse compenser le phénomène. Elle précise, cependant, que les données préliminaires indiquent une consommation quasi stable et ce, «pour la première fois depuis l'été 2009». L'AIE met en relief le fait que le recours aux stocks stratégiques est une mesure momentanée qui répond à un souci majeur, celui de suppléer au pétrole libyen dont les exportations sont à l'arrêt ou presque. Les pays consommateurs, dont une partie est engagée dans le conflit libyen, se serrent les coudes, pour pouvoir en gérer les conséquences, même si pour l'instant les prix de l'or noir n'ont pas atteint un seuil critique. On est loin du record de l'été 2008. «Les 28 pays membres de l'AIE mettront des volumes supplémentaires sur le marché pour une période initiale de trente jours», a précisé Tanaka lors d'une conférence de presse tenue à Paris. Selon l'AIE, les événements en Libye ont privé le marché à fin mai de cent trente-deux millions de barils de pétrole brut. Il s'agit seulement de la troisième fois dans l'histoire de l'AIE, créée après le choc pétrolier de 1973, qu'une telle décision est prise. Ce sera donc un effort partagé par les membres de l'AIE pour supporter les effets de la crise en Libye. Concrètement, les Etats-Unis participeront à cet effort à hauteur de 50%, les pays européens à 30% et les pays asiatiques à 20%, a détaillé le directeur général de l'AIE. Le département de l'énergie américain a confirmé dans un communiqué distinct qu'il allait puiser trente millions de barils dans ses réserves, actuellement à un niveau «historiquement haut» de 727 millions de barils. De son côté, «la France va contribuer au prorata de sa consommation, soit 3,2 millions de barils, ce qui correspond à environ 2% des stocks stratégiques français». Les membres de l'organisation avaient déjà mis à contribution leurs stocks stratégiques après l'invasion du Koweït par l'Irak en 1990 et après l'ouragan Katrina qui avait frappé les Etats-Unis en 2005. Cette action devrait toucher les marchés à partir de la semaine prochaine, a estimé M. Tanaka. Fondée pour faire face au choc pétrolier de 1973-1974, l'AIE avait pour mission première d'aider les pays membres à coordonner une réponse collective aux perturbations graves des approvisionnements en pétrole, par la mise en circulation de stocks de pétrole sur le marché. Les marchés ont réagi à cette mesure de puiser dans les stocks. En effet, le cours du Brent s'est effondré dans la foulée de ces annonces, perdant sept dollars en quelques minutes, à 106 dollars le baril.