Il y a toujours un brin de candeur dans les divers rapports du Département d'Etat américain sur les droits et la condition de la personne humaine. En apparence seulement, puisque cette naïveté n'en est pas une en vérité. Les rédacteurs de ce type de constats feignent de traduire la réalité et succombent souvent aux clichés éculés pour faire dans le convenu. Rompus au renseignement, les diplomates américains en savent généralement bien plus sur les pays qui les accréditent, surtout quand il s'agit de la sphère socioéconomique. Leur présence et leur introduction dans le monde des affaires leur permettent incontestablement de brosser un regard beaucoup plus palpable que ce à quoi on nous a officiellement habitués. Dire que l'Algérie exploite la détresse des émigrants clandestins, en fermant l'œil sur les excès des employeurs locaux qui les exploiteraient pour une bouchée de pain, revient à ignorer la situation qui prévaut actuellement dans le pays et dans l'ensemble de la région méditerranéenne. Le chômage constitue encore un grand problème en Algérie. Les nationaux résidents, eux-mêmes, éprouvent beaucoup de difficultés à trouver de l'embauche. Notre pays ne représente pas, du moins pour le moment, un eldorado aux yeux de ces harraga. C'est pourquoi, il est invraisemblable que des ressortissants de la région subsaharienne y soient systématiquement arnaqués. Il n'est pas exclu de trouver des plâtriers marocains, des puisatiers syriens ou des charpentiers maliens, en situation irrégulière et sous-payés dans un atelier quelconque, mais c'est loin d'être la règle. Comme partout ailleurs, il existe aussi des Algériens qui travaillent au noir, car leurs patrons refusent de les déclarer à la sécurité sociale ou pour se soustraire à d'éventuelles poursuites de cette institution. Classer l'Algérie dans la liste noire des pays à surveiller pour trafic d'humains sur la base de telles assertions constitue, incontestablement, une accusation sans véritable fondement. Pour produire un véritable diagnostic sur la traite des êtres humains, il faudrait peut-être se tourner davantage vers la rive nord de la Méditerranée où des flux ininterrompus de migrants irréguliers jettent l'ancre par milliers et au quotidien. Le secteur agricole en Italie, par exemple, emploie au noir beaucoup de cette main d'œuvre taillable et corvéable à merci. Ce n'est un secret pour personne. Au pays de Silvio Berlusconi, où l'informel représente officiellement 20% du PIB, les Africains en situation irrégulière sont toujours utilisés pour rien par des fermiers peu scrupuleux. Les agriculteurs espagnols ont, ensuite, fait de même en exacerbant davantage ce phénomène de l'émigration sauvage. Les entrepreneurs français du bâtiment, des travaux publics et de l'hydraulique en tirent également des profits conséquents. La fable du plombier polonais n'est pas une vue de l'esprit. En Grèce, ce pays qui fait présentement peur aux 27 de l'Union européenne, ce sont essentiellement des clandestins maghrébins qui font annuellement de la cueillette des olives pour des clopinettes et dans des conditions souvent difficiles. Au Etats-Unis même, les réfugiés «sociaux» du Mexique voisin récoltent des vertes et des pas mûres dans les domaines agricoles de l'oncle Sam. Les monarchies pétrolières du Moyen-Orient (Arabie saoudite, Emirats, Qatar, Oman et Koweït), Indiens, Bengalis, Pakistanais et Birmans sont triturés par dizaines de milliers et vivent dans des conditions qui frôlent l'esclavagisme. Le rapport du Département d'Etat aurait pu paraître crédible s'il avait pris en considération toutes ces données dont les diplomates américains possèdent, sans doute, les moindres détails. A défaut, ce document prend l'allure d'un «machin» de propagande ordinaire, destiné à faire pression pour de sombres intérêts. Certes, ce n'est pas comme ça qu'on fera avancer un jour la condition humaine. K. A.