De notre envoyé spécial à Paris Hassan Gherab La compétition à la 9e édition du Festival Paris Cinéma s'est corsée avec l'entrée en lice de Voltiges (2011, Suède, 1h24) de Lisa Aschan. Et quelle entrée remarquée et remarquable fut ce western moderne !Emma (Mathilda Paradeiser) est une adolescente qui s'entraîne sans relâche pour intégrer l'équipe de voltige équestre de sa ville, Göteborg. Elle vit avec sa petite sœur de sept ans, Sara (Isabella Lindquist). Le père (Sergej Merkusjev), libéral et tolérant, laisse ses filles évoluer sans trop les brider. Mais il est toujours là quand le besoin s'en ressent. Il achètera un maillot deux-pièces à Sara quand celle-ci l'exigera parce qu'à la piscine une monitrice lui a dit qu'elle était assez grande et qu'elle devait en porter, comme il accompagnera Emma pour son test d'admission dans l'équipe de voltige. D'entrée, la jeune adolescente en impose par sa maîtrise technique. Mais dans l'équipe, c'est Cassandra (Linda Molin) qui est la star reconnue. Un regard échangé, et on comprend que quelque chose est née entre les deux filles. Cassandra prend Emma sous son aile. «Je peux faire ce que je veux de n'importe qui», lui dira-t-elle en lui proposant de l'aider à améliorer sa prestance. Le lien est établi dans un rapport ambigu. Cassandra prend l'ascendant et impose petit à petit un jeu de séduction auquel Emma n'est pas franchement réfractaire. Encouragée, Cassandra ira plus loin et précisera ses intentions : «Nous ne devons pas être adversaires mais alliées. Dis oui», soufflera-t-elle les yeux brillants dans le creux de l'oreille d'Emma qui acquiesce mais dont le regard reste vague. D'ailleurs, même éméchée, elle gardera la tête froide et repoussera les avances de Cassandra qui, après l'avoir soutenue et couchée dans son lit, s'était allongée à ses côtés. Refroidie et étonnée, elle demande à Emma ce qu'elle veut. «Redevenir ce que j'étais avant», répond cette dernière avec froideur. L'alliance est rompue.Dès lors, Emma apparaît sous un autre jour. Ce n'est pas la «oie» aux déviances enfouies qui se laisse mener, mais plutôt une adversaire froide, calculatrice et ambitieuse. Le vrai visage d'Emma se révèle quand Cassandra est sélectionnée et pas elle. Elle a un regard de glace. La rupture est consommée. Emma essaye, dans un dernier sursaut, d'être à l'image de Cassandra, mais sa nature l'en empêche. Et quand Cassandra fait le pas vers elle, elle la repoussera brutalement et ira jusqu'à la frapper au genou avec une fourche, la handicapant ainsi. Mais Cassandra ne dénoncera pas celle pour qui elle nourrit un véritable sentiment d'amitié et d'amour et dira à la monitrice qu'elle a été blessée pas un coup de sabot du cheval. Incapable de participer au concours de voltige, Cassandra est remplacée au pied levé par Emma qui prend sa place sans le moindre scrupule. C'est la dernière image : Emma debout sur le cheval les bras levés regardant droit devant elle, un sourire étirant ses lèvres et Cassandra parmi le public, le genou bandé, regardant son ex-amie avec des yeux où tristesse et ressentiment se lisent.Parallèlement, Sara prend le même chemin. Amoureuse de son cousin et baby-sitter Sebastian, elle découvre que lui n'est pas amoureux d'elle. Emma lui explique qu'il ne faut pas succomber à ses sentiments, car on n'en recueillera que douleurs et déceptions. Et c'est une jeune adolescente qu'on voyait douce, tendre et attentionnée au début qui donne ces conseils à la fin du film.C'est sans doute là toute la force de ce premier long métrage de Lisa Aschan. Voltiges, qui semble au début dédié à ces jeux de séduction et ces rapports de domination, lesbiennisme, introversion adolescente, se révèle comme une véritable grille de lecture de la nature humaine. La même image revient avec des sens différents dans le film. Le regard complice entre Emma et Cassandra au début du film n'est pas celui qu'a Emma quand Cassandra lui révèle son amour, ni celui qu'a cette dernière dans la dernière image. Cassandra qui paraît au début du film froide et inhumaine, au contraire d'Emma, finit en victime de ses sentiments, alors qu'Emma qu'on voyait passive et malléable se dévoile dominatrice et manipulatrice.Du premier au dernier tiers du film, Voltiges amène doucement son essor qui finit en apothéose. Aschan maintient la pression, avec un rythme bien cadencé et une musique millimétrée, jusqu'à la dernière image. La jeune cinéaste suédoise n'a pas manqué sa cible et a produit une œuvre de haute facture, tant technique qu'artistique. Pour un premier essai, Lisa Aschan signe avec Voltiges une œuvre majeure qui fait honneur au cinéma nordique en général et suédois en particulier. Avec Curling, Voltiges se distingue du lot et place haut la barre.