De notre envoyé spécial à Paris (France) Hassan Gherab
Le 9e Festival Paris Cinéma a bien marqué sa soirée de mardi dernier avec Curling (1h32), film en compétition du cinéaste canadien Denis Côté. Si la salle 12 du MK2 Bibliothèque François Mitterrand où a eu lieu la projection n'a pas fait le plein, le public présent a toutefois accroché, dès les premières images du long métrage qui a déjà obtenu les prix de la meilleure réalisation et du meilleur acteur au festival de Locarno. Dans une petite maison de la banlieue sud de Montréal vit Jean-François Sauvageau (Emmanuel Bilodeau) avec sa fille Julyvonne (Philomène Bilodeau) qui, à 12 ans, n'a jamais mis les pieds dans une école. Jean-François, qui travaille comme agent d'entretien dans un bowling et un motel, a choisi de se couper du monde et de garder sa fille loin de tous les «dangers» qu'il représente à ses yeux. Malgré les conseils de ses amis, du patron du bowling et de la patronne du motel, il est résolu à prendre en charge l'instruction de sa fille qu'il soumet à une éducation rigoureuse. Julyvonne s'occupe de la maison pendant que son père travaille et fait des balades dans la campagne enneigée alentour. Le soir, père et fille se retrouvent autour de la table du dîner. Père et fille ne communiquent pas. A peine s'ils discutent, quelques échanges, des banalités, pour meubler le dîner. Et même quand Jean-François «décide» d'agrémenter la soirée en proposant à Julyvonne d'écouter de la musique, le cinéaste nous offre la parfaite image du hiatus intergénérationnel et familial : le père et la fille sont assis sur le même canapé à écouter une chanson new wave. Ils sont si proches, mais si éloignés l'un de l'autre. Et la musique, censée être le lien du son qui renforcerait celui du sang, ne fait que jouer le rôle du balancier maintenant un équilibre que ne cessent de bousculer des non-dits, des refoulements et des secrets, comme ces cadavres recouverts de neige que Julyvonne découvre lors d'une de ses balades en campagne et qu'elle décide de taire à son père. Pis, la première peur-panique résorbée, elle en fera des compagnons à la rencontre desquels elle va, au même titre que le tigre qu'elle a découvert derrière un grillage. Jean-François couve aussi le secret de cet enfant mort dans sa voiture après qu'il l'ait trouvé blessé sur la route et dont il a caché le cadavre dans une chambre du motel qui avait déclaré faillite, ou son amour naissant pour la jeune et excentrique réceptionniste du bowling. Il y a aussi Rosie, la mère, qui est en prison, pour on ne sait quel crime, mais dont l'ombre est toujours présente entre le père qui essaye de l'oublier et la fille qui demande à aller la voir. L'équilibre est toutefois maintenu à force de concessions de part et d'autre. Jean-François lâche du lest. Il accepte par exemple de laisser sa fille sortir s'amuser au bowling, quitte à la «recadrer» et la rappeler à l'ordre. Julyvonne ira, elle, jusqu'à laisser son père briser les amarres quand il lui annoncera en quelques mots et le plus simplement du monde qu'il allait partir sans elle, sans même essayer de répondre aux «pourquoi ?» qu'elle ne cesse de répéter avant de tourner les talents pour s'en aller dormir. Il prendra sa voiture le soir même pour s'éloigner de ce monde où il sent qu'il est en train de perdre pied. Julyvonne se réfugiera parmi ses cadavres entre lesquels elle s'allonge tandis que son père s'efforce de renouer le contact avec la vie entre les bras d'une prostituée qu'il a rencontrée par hasard dans le restaurant d'un motel. Cette rencontre avec une étrangère si éloignée qui deviendra si proche, si intime, parce qu'il a fait l'effort de s'en rapprocher, provoquera le déclic. Jean-François décide de revenir à la maison. Mieux, il réussit à dire à sa fille : «Je t'aime», mais au téléphone, après lui avoir annoncé son retour et sa «métamorphose» qu'il exprimera autrement, sans devoir parler et communiquer. Il sort sa fille pour l'emmener participer au concours de descente en luge. Julyvonne caresse la place de la moustache que Jean-François vient de raser. Est-ce le signe du changement dans ses rapports avec la vie, le monde et sa fille ? Denis Côté ne donne aucune réponse ni ne pose des questions d'ailleurs. Il propose juste des voies de réflexion sur un drame des temps modernes : l'absence de contact et de la communication. Avec Curling, son cinquième long métrage, l'ancien critique de cinéma qu'était Denis Côté a signé une œuvre iconoclaste et décalée d'une beauté rude et froide, à l'image de la rudesse et de la froideur de ce beau décor plat de la campagne canadienne. Son scénario s'imprègne également de cette platitude morne et monotone. Et cette monotonie accentue justement le drame. En calquant le drame sur le quotidien somme toute banal de Jean-François, Julyvonne et les autres, le cinéaste lui confère un réalisme dérangeant, réalisme surligné par la lenteur du rythme du film. De plus, Côté pousse le réalisme jusqu'à creuser le contact non seulement entre ses acteurs, mais également entre eux et le spectateur qui ne saura jamais pourquoi Jean-François craint le contact entre sa fille et le monde extérieur, pourquoi il n'a pas déclaré l'accident du petit, pourquoi Julyvonne n'en a pas fait autant avec les cadavres… Il ne saura pas plus ce que ces scènes font dans le film. Pourquoi le cinéaste ouvre des pistes qu'il referme tout de suite (qui sont ces morts ? Que fait un tigre dans une campagne enneigée ? Pourquoi la mère est en prison ? Que craint le père ?...) ? En fait, quand on suit le film jusqu'à la fin et qu'on y regarde de près, on comprend que ces pistes n'ont aucune incidence ni intérêt, elles ne sont là que pour souligner le paradoxe du drame : la difficulté des personnes d'établir un contact malgré leur proximité et la facilité de le faire si elles faisaient l'effort, se rapprochaient et communiquaient (Julyvonne et les cadavres, Jean-François et la prostituée). C'est sans doute là la force de Curling : illustrer les rapports humains sous leur angle le plus commun, quotidien. Et même s'il n'a pris aucune option pour l'issue de la compétition, le film a certainement de véritables atouts à faire valoir aux côtés des sept autres films inscrits en compétition internationale dans cette 9e édition du Festival Paris Cinéma dont l'objectif est d'offrir un «panorama inédit de la création indépendante contemporaine». La compétition a retenu huit longs métrages sélectionnés parmi plus de 1 300 films (1 100 en 2010) en provenance du monde entier. Les maîtres mots du festival «demeurent le goût de l'inédit et la curiosité pour des cinématographies lointaines, parfois peu montrées, en dehors des circuits professionnels habituellement inaccessibles au grand public. La compétition se veut exigeante, passionnément tournée vers le cinéma d'auteur et les nouveaux talents; au plaisir de la découverte et de l'inédit, s'ajoute bien sûr celui de l'échange et de la convivialité», est-il expliqué sur le site du festival. Les huit longs métrages en compétition sont : la Ballade de Genesis et Lady Jaye de Marie Losier (2011, Etats-Unis, France); Hospitalité de Koji Fukada (2010, Japon); En secret de Maryam Keshavarz (2011, Etats-Unis, Iran, Liban); La guerre est déclarée de Valérie Donzelli (2011, France); Curling de Denis Côté (2010, Canada); The Prize de Paula Markovitch (2010, Mexique, France, Pologne, Allemagne); Voltiges de Lisa Aschan (2011, Suède); Sur la planche de Leïla Kilani (2011 Maroc, France, Allemagne). Les films concourent pour quatre prix, destinés à aider leur distributeur lors de leur sortie en salles : le Prix du Public; le Prix du Jury; le Prix des Etudiants remis par un jury d'une dizaine d'étudiants en cinéma issus des universités parisiennes et franciliennes; le Prix des Blogueurs et du Web attribué par un jury de sept spécialistes cinéma sur le Web.