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La mort du général Younes met en question le poids des islamistes
Kadhafi accuse Al Qaïda, observateurs et analystes occidentaux se perdent en conjectures
Publié dans La Tribune le 01 - 08 - 2011

Quels que soient les commanditaires, les auteurs et les bénéficiaires de l'assassinat du chef opérationnel de la rébellion libyenne, la mort du général Abdelfattah Younes Labidi interroge, avec une plus grande acuité, le poids, l'implantation et l'influence réels des islamistes libyens dans le mouvement d'insurrection contre le régime du colonel Mouammar Kadhafi. Bien avant, des préoccupations concernant un risque de récupération de la révolte en Cyrénaïque par des mouvements islamistes radicaux, liés notamment au GICL, le Groupe islamiste combattant libyen, s'étaient fait jour. Elles trouvaient leur origine dans les déclarations des deux parties antagoniques, concordantes sur le contenu, mais aussi dans l'histoire de l'islamisme libyen qui fut et est encore le fer de lance militaire du djihadisme international sous la bannière d'Al Qaïda et, au Maghreb, de sa filiale Aqmi. Alors qu'aujourd'hui, il accuse, sans preuves, les djihadistes d'avoir assassiné son ancien ministre de l'Intérieur, le régime de Tripoli a toujours mis l'accent sur une collusion entre la rébellion de l'Est et la mouvance islamiste radicale. En face, ce sont les proclamations d'autopromotion de responsables islamistes radicaux, dont celles d'Aqmi, franchise d'Al Qaïda au Maghreb, installée au Sahel, qui ont centré l'intérêt sur le rôle d'Al Qaïda. Sans implantation structurelle, réelle et prouvée en Libye, même si l'organisation compte de nombreux combattants libyens dans ses rangs, elle a manifesté dès le 24 février 2011 son soutien aux insurgés. La première de ces déclarations est celle de Salah Mohammed Abou Oubbah, islamiste libyo-britannique, membre du GICL, auteur d'attentats dans l'est libyen en 1995 et 1996, et dont une partie des responsables présents en Afghanistan et en Irak prêteront allégeance à Al Qaïda en 2007. Pendant ce temps, les autres, restés en Libye, négociaient une amnistie avec le régime de Kadhafi. Dans une déclaration à la radio Deutsche Welle, le 24 mars 2011, Abou Oubbah annonçait qu'Al Qaïda avait pris la tête de l'insurrection. Il y a eu ensuite une première déclaration d'Abdelhakim El Hassadi, vétéran d'Afghanistan et d'Irak, historique du GICL, emprisonné en 2008 au Pakistan. Celui qui dirige aujourd'hui la brigade insurgée Buslim - du nom d'une prison libyenne où il a été incarcéré et torturé - avait annoncé qu'il allait recruter d'anciens Libyens d'Irak pour lutter contre les troupes loyalistes au régime de Kadhafi (The Telegraph, 25/03/2011).
Déclarations éveillant l'intérêt pour Al Qaïda
On a enregistré aussi les déclarations du président tchadien Driss Deby qui a indiqué qu'Aqmi avait pris possession d'un véritable arsenal pillé dans les dépôts de l'armée libyenne, notamment des missiles sol-air S7 de fabrication russe. Ces déclarations sont à apprécier d'autre part par rapport aux inquiétudes exprimées par les autorités algériennes quant à l'exfiltration d'armes vers l'Algérie et le Sahel du champ de guerre libyen, théâtre marqué par l'anarchie caractérisant un mouvement insurrectionnel ouvert à tous les vents. Il faut également les évaluer à l'aune de déclarations occidentales qui alarmaient sur la présence d'éléments radicaux en tant que fer de lance de l'insurrection armée en Cyrénaïque. Parmi ces propos alarmistes, celles de l'amiral américain James Stavridis, commandant suprême des forces de l'Otan en Europe, qui mettait en garde, le 29 mars dernier, devant une commission du Sénat américain, contre la présence de militants d'Al Qaïda et même du Hezbollah libanais dans les rangs de la rébellion, avant de reconnaître que les services américains n'en étaient alors qu'à l'examen attentif de la composition du CNT, le Conseil de transition libyen. Quant à Bruce Riedel, un des conseillers du président Barack Obama, il s'était interrogé sur la part d'activistes d'Al Qaïda au sein de l'insurrection, non sans hésiter entre 2% et 20% du total. S'il est difficile pour les spécialistes comme pour les observateurs d'établir, avec plus ou moins de précision, le poids, la taille et l'influence réels des islamistes radicaux libyens au sein de la rébellion et de sa vitrine civile et militaire, le CNT, on peut, toutefois, souligner que les islamistes et autres djihadistes libyens constituent, au moins, une avant-garde militaire et doctrinale. Une force qui, sans être surdéterminante, est surdéterminée elle-même et incontournable sur l'échiquier du conflit libyen. Elle a pour elle l'avantage d'être anciennement implantée en Cyrénaïque, à travers le GICL qui l'a fait bénéficier aujourd'hui de son expérience militaire en Afghanistan, au Pakistan et en Irak, où il a toujours été le fer de lance d'Al Qaïda.
Les djihadistes libyens sont les plus nombreux
En réalité, l'islamisme libyen a poussé dans le terreau religieux fertile que représente la Cyrénaïque avec notamment la ville d'El Beïda, ville de sainteté dont l'attrait principal est d'accueillir la tombe d'un des compagnons du Prophète, parmi les dix promis au Paradis, Ruwaifi Ibn Thabit al-Ansari. La même région fut également le berceau de la confrérie senousside, un ordre fraternel, fondé par un Algérien qui s'est installé dans une région comprenant l'arc Benghazi-Beïda-Derna-Tobrouk, qui est désormais l'axe géographique stratégique de la rébellion. Le couloir allant de Benghazi à Tobrouk, en passant par Derna, représente une grande concentration d'islamistes radicaux, avec la caractéristique de posséder un fort pourcentage de candidats à la mort ayant le profil sociologique et psychologique du kamikaze. Des études officielles américaines, établies en Irak pour dessiner une cartographie et une typologie des djihadistes en Irak, ont montré que les Libyens, en proportion comme dans l'absolu, étaient les plus nombreux au sein de la nébuleuse de légionnaires islamistes activant pour le compte ou sous le label d'Al Qaïda. C'est également le cas dans le décompte des radicaux armés en Afghanistan comme au Pakistan. Partout, les Libyens étaient les plus nombreux, les plus en vue et les premiers à se retrouver en première ligne et à truster les postes de commandement. C'est ainsi que le plus célèbre d'entre eux, Amar Achour al-Rufayi, plus connu sous le nom de guerre d'Abou Ellaith al-Libi, né en 1967 et mort en 2008, tué par un drone Predator de la CIA dans le Waziristân pakistanais, fut le numéro 3 d'Al Qaïda et son chef militaire opérationnel. Dans les années 1990, il devint commandant du GICL et, à ce titre, participa au complot d'Al Qaïda qui échoua à assassiner le colonel Mouammar Kadhafi en 1994. Plus tard, un agent du contre-espionnage britannique, David Shayler, révéla que cette opération avait été commanditée par les services de Sa Majesté. Abou Ellaith al-Libi est réputé aussi pour avoir dirigé le commando suicide qui attaqua la base aérienne américaine de Baghram (Afghanistan), le 27 février 2007 au cours de la visite du vice-président Dick Cheney. Sa tête fut mise à prix 5 millions de dollars. En 2007, le GICL, à l'instar du GSPC algérien, s'est fondu dans Aqmi en se labellisant Al Qaïda au Maghreb. La menace du GICL fut telle que le régime du colonel Mouammar Kadhafi décida de le réprimer violemment durant les années 1990 et au cours de la décennie 2000, tuant et emprisonnant des centaines de partisans. Pour, ensuite, en libérer une bonne partie en 2009 et 2010 ; beaucoup d'entre eux rejoindront plus tard et dès les premières heures la rébellion en février dernier. A l'image d'Al Qaïda, qui n'est pas une organisation centralisée, mais plutôt une sorte de vaste franchise regroupant partout, à travers le monde des adeptes et des militants spontanés qui agissent sous son label, la mouvance islamiste libyenne compte des leaders et autres figures emblématiques, auréolés de leur passé «prestigieux» de djihadistes chevronnés. On y compte aussi l'actuelle star montante Anwar Awlaki, un vétéran d'Afghanistan et d'Irak, soupçonné d'être un agent de la CIA. Autre nom, celui d'Abdelhakim al-Hassadi, qui jouit d'un grand prestige et qui s'est distingué à la tête des combattants qui guerroient depuis plusieurs mois contre les troupes loyalistes libyennes autour des champs pétroliers d'El Bréga. Capturé au Pakistan en 2002, où il combattait depuis cinq ans, il assure lui-même la formation de ses hommes estimés désormais à 1 000, dispersés entre Derna, Benghazi et les fronts d'Adjedabia et de Bréga plus à l'Ouest. Libéré en 2008, cet homme, qui a combattu dans les rangs des talibans afghans, a lui-même reconnu que des missiles sol-air, pris par les insurgés dans les stocks de Kadhafi, sont tombés entre les mains d'Aqmi. Âgé de 64 ans, il dit, dans une déclaration à RFI (30 juin 2011), qu'il respecte le CNT libyen, car «si ce n'était pas le cas, cela fait longtemps que nous l'aurions renversé». Parmi les figures marquantes de l'islamisme radical libyen, il y a également No'mane Benothmane, ex-chef du GICL, réfugié à Londres et retourné depuis à Benghazi. Il est, par ailleurs, soupçonné d'être un agent du MI6 britannique. Autre figure symbolique de l'islamisme
radical libyen, mais tué depuis, Abderrahmène Attiyah, qui était en Iran et qui a servi comme ambassadeur d'Oussama ben Laden auprès des mollahs. Des rapports de presse américains indiquent qu'il aurait été tué lui aussi par un drone Predator lors d'une frappe aérienne en 2010 dans la zone pakistanaise contrôlée par des tribus proches des talibans au Nord-Waziristân. La page du site Web sur laquelle le département d'Etat américain affiche une récompense pour sa capture précise qu'Attiyah avait été «nommé par Oussama ben Laden émissaire d'Al Qaïda en Iran». Attiyah était suffisamment haut dans la hiérarchie de l'Internationale islamiste du crime pour se permettre en 2005 de donner des ordres à Abou Mossab Ezzerkaoui, le chef d'Al Qaïda en Irak, tué depuis.
Les islamistes issus de la tribu des Harabi
A l'instar de la plupart des membres du CNT libyen, les djihadistes libyens sont issus de la grande confédération de tribus des Harabi, qui domine la Cyrénaïque. Ce conglomérat tribal constitua la base sociale et politique de la monarchie senousside. Ces élites furent écartées pour l'essentiel des postes-clés du régime de Kadhafi, au profit des tribus de l'Ouest et de Fezzan, qui, elles, constituent à ce jour la base du régime issu du coup d'Etat du premier septembre 1969. Mustapha Abdeljalil, président du CNT, et le défunt général Abdelfattah Younes Labidi en sont également originaires. Enfin, la question qui se pose aujourd'hui consiste à se demander si les noms des membres du CNT, que ses dirigeants en vue ne citent pas - officiellement pour des raisons sécuritaires - ne seraient pas finalement des islamistes provenant du GICL ? Mais aussi du mouvement des Frères musulmans, dont la figure de proue, y compris par son front marqué par la zébiba distinctive des gens pieux, est, sans conteste, Mustapha Abdeljalil, personnalité la plus visible du mouvement des Frères musulmans.
N. K.


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