Les Somaliens se battent militairement entre eux depuis deux décennies et le pays est sans gouvernement central, après la destitution de l'ancien dictateur Siad Barre, survenue le 26 janvier 1991. D'un côté, il y a la puissante organisation rebelle des Shebab islamistes qui a pris le dessus sur les autres factions armées radicales et, de l'autre côté, un gouvernement de transition qui a été mis en place pour reprendre les choses en main et tenter de faire sortir la Somalie de plusieurs décennies d'instabilité politique, marquées par des putschs à répétition. Mais les deux dernières décennies sont les plus dures car plus de 300 000 personnes ont été tuées et plus de deux millions ont été contraintes de fuir leur maison et de trouver refuge, pour la plupart d'entre eux dans les caps de déplacés installés par les organismes humanitaires indépendants ou affiliés à l'Organisation des Nations unies. La situation s'est encore dégradée davantage après l'accession de Cheikh Ahmed Sharif, début janvier 2009, à la tête de l'Etat somalien, au lendemain de la démission de l'ancien président Abdullahi Yusuf Ahmed, incapable de remettre le pays sur pied. Ahmed Sharif, anciennement président des fameux tribunaux islamiques, a donc accepté de prendre les destinées d'un pays en ruine après avoir été choisi par le Parlement lors d'une session à Djibouti, en raison de l'anarchie qui régnait à Mogadiscio à l'époque. Aussitôt installé à la tête du nouveau gouvernement de transition, Sheikh Ahmed Sharif a entamé la lourde mission de faire revenir la paix en Somalie, mais cela n'a pas été le cas puisque les groupes rebelles, les plus radicaux et les moins radicaux, se sont unis contre lui et ont lancé une violente offensive militaire contre Mogadiscio dans le but de la contrôler et de déloger le nouveau président. L'Union africaine était ainsi contrainte de s'impliquer un peu plus dans cette guerre civile en envoyant près de huit mille soldats des forces de l'Amisom afin de protéger le siège de la présidence et certains quartiers stratégiques de la capitale somalienne. Depuis, il ne se passe pas une journée sans que les Shebab ne provoquent d'affrontements, souvent à l'arme lourde et à l'artillerie, gagnant à chaque combat de nouveaux territoires aussi bien à Mogadiscio que dans les autres zones du sud de la Somalie. Aujourd'hui, les islamistes shebab contrôlent deux tiers du territoire somalien et sont maîtres des lieux dans le sud du pays, frontalier avec le Kenya et l'Ouganda. L'absence d'un gouvernement central, d'une véritable armée organisée, a laissé aussi le champ libre à la prolifération des actes de piraterie dans la région. Plusieurs dizaines de bateaux, de navires commerciaux, de pétroliers ont été retenus en otage par des pirates somaliens et certains d'entre eux ont été libérés moyennant des rançons, estimées au total à plusieurs dizaines de millions de dollars.Il y a deux semaines, les pays donateurs se sont retrouvés à Nairobi pour discuter de la situation dramatique à laquelle douze millions de personnes font face en cette fin d'année 2011 aussi bien en Somalie que dans ses pays voisins de la Corne de l'Afrique (Ouganda, Kenya, Ethiopie, Djibouti). C'est à partir de la capitale kenyane que l'ONU a déclaré l'état de famine dans deux provinces dans le sud de la Somalie, où des milliers de réfugiés se sont vu obligés de se débarrasser de leur bétail pour survivre à la sécheresse qui menace la vie d'au moins trois millions d'enfants et de femmes sur place. Des ponts aériens ont été inaugurés pour acheminer l'aide alimentaire pour faire face à cette situation d'urgence, mais l'action des humanitaires est très difficile, à en croire les comptes rendus quotidiens de la presse et des personnalités impliquées dans cette action d'envergure. Les milices shebab contrôlent pratiquement toutes les voies d'accès et d'acheminement de l'aide alimentaire, destinée aux camps de déplacés dans le sud de la Somalie et dans certains quartiers de la capitale Mogadiscio où plus de trois cent mille personnes se déplacent régulièrement d'un quartier à un autre pour fuir les combats opposant les islamistes aux forces gouvernementales et leurs alliés, les soldats de l'Amisom. L'ouverture de ces ponts aériens n'a pas vraiment servi à grand-chose, car l'aide fournie aux réfugiés est détournée en partie par les islamistes shebab qui s'attaquent aux convois humanitaires ou s'infiltrent de force dans les camps pour déplacés, provoquant fusillades et morts au sein d'une population somalienne perdue et désespérée. Cet état de fait nous renseigne sur les limites des actions humanitaires, en cours en Somalie depuis le début de la guerre civile il y a presque vingt ans. Le gouvernement de transition somalien n'est en fait présent que dans un périmètre limité à Mogadiscio, grâce notamment à la présence des forces armées de l'Union africaine. Aujourd'hui, il est urgent de trouver une solution durable pour en finir avec la famine dans la Corne de l'Afrique. Le monde occidental, qui se dit être le chantre de la liberté des peuples et de la démocratie, se contente pour le moment de nourrir des Somaliens affamés par la guerre et la sécheresse. Mais les grandes puissances qui trient au volet les pays où ils interviennent militairement ne jugent pas encore de la nécessité d'engager une action armée en Somalie que, sûrement, le monde applaudirait haut les mains. C'est que les enjeux économiques de l'instabilité politique et sécuritaire en Somalie et même à l'échelle de tout le continent noir sont énormes. Les puissances occidentales sont en fait intéressées qu'il y ait des conflits un peu partout sur le continent noir pour écouler leurs productions en armes et munitions. Ce commerce, souvent effectué d'une manière illégale, permet à l'industrie de l'armement de tourner à plein régime. Le monde est conscient d'une telle situation, à commencer par l'Union africaine, incapable jusque-là de jouer un rôle déterminant dans l'éradication de ce fléau qui embrase l'Afrique : la guerre. Mais que fait-on pour changer les choses ? L. M.