Photo : S. Zoheir Par Hassan Gherab Pour la nuit médiane (lilat e'noss), qui clôture la première moitié du mois de Ramadhan, moment symbolique chez les jeûneurs, la kheïma de la Tribune a fait de sa soirée de dimanche dernier un agréable retour aux sources, un pluriel grandement justifié par la diversité culturelle caractérisant l'Algérie. Au programme, de la zorna, qui était de toutes les fêtes et les heureuses occasions dans l'Algérois - elle l'est encore, mais plus rarement -, et de la musique traditionnelle gnaoui, dont les adeptes se situent principalement dans le sud-ouest et l'ouest du pays.Pendant que les techniciens du son étaient occupés aux réglages de la balance, le public s'installait. Les quatre premières rangées sont occupées par les familles dont les enfants s'égaillent entre les travées, profitant de l'espace pour se dégourdir les jambes. Respectant le découpage, la délimitation et surtout les usages, les jeunes sont sagement assis derrière. Les seules libertés qu'ils s'autoriseraient seront des coups d'œil insistants à une jeune demoiselle assise dans le carré des familles et quelques manifestations de joie exubérantes, histoire de se faire remarquer par celle qu'on convoite.Mais quand le bourdonnement du goumbri fait vibrer les enceintes, le silence se fait. Bien entouré par cinq karkabous, une toumba et une derbouka, maâlam Youcef, le goumbriste de la troupe Noudjoum Diwan de Sidi Bel Abbès, donne le ton avec un dhikr auquel succédera l'amorce d'une chanson, «Bouderballa». En fait, les deux passages ne sont qu'une mise en bouche qui a aussi servi aux techniciens pour opérer les derniers réglages de la balance. Comme la tradition le veut, la soirée sera ouverte par la zorna, et un youyou qui fusera du public. Deux t'bel et un banjo encadrent la zorna (instrument à vent à anche double de la famille des hautbois. Nom persan composé de zour qui veut dire fête ou corne et ney qui veut dire roseau), au son haut et dont les notes saccadées ont un air jazzy des plus charmeurs. L'ouverture rituelle accomplie, le quatuor quitte la scène la cédant à maâlam Youcef et sa troupe qui resteront dans le chapitre en entamant leur tour de chant avec le salut musulman rituel, Salem aalikoum. Le bordj entamé ne sera pas chanté jusqu'à la fin. On poursuit avec un jeu de scène où le goumbri aura pour partenaire la toumba. Après un petit istikhbar, on enchaîne avec «Baba Hamouda». Le rythme très vif arrachera des youyous à quelques femmes du public. Avec «Marhba», Noudjoum Diwan feront une nouvelle conquête. Une petite et adorable fille les accompagne en danse. Debout au bas de la scène, le petit bout de chou oscille au rythme de la musique. Maâlam Youcef lui adresse un large sourire. On enchaîne avec «Lalla Aïcha». Même si le bordj n'est qu'amorcé, la chanson, ou plutôt le rythme, plaît. Les femmes ne seront d'ailleurs pas avares de youyous, surtout quand le chanteur louera l'Algérie et évoquera les chouhada.Le courant est bel et bien établi entre les artistes et leur public à qui ils servent encore et encore des morceaux de musique gnaoui. Emporté par le rythme, le goumbriste s'avance sur les devants de la scène, dépassant les enceintes qui assurent le retour. Se laissant guider par son inspiration, le maâlam maintient le rythme sans difficulté. Son goumbri vrombit. La petite danseuse, toujours fidèle à son poste, fait des émules. Une dizaine d'enfants envahissent la piste de danse. Ils sautent, gesticulent, rient et dansent. Ils s'amusent comme des petits fous. La toumba et la derbouka forment un duo et électrisent l'assistance avec des roulements endiablés. Le goumbriste s'avance et se rapproche des enfants auxquels il adresse des encouragements. Le rythme changera mais restera dansant avec «Lalla Fatima, lalla Mimouna», un autre titre d'un bordj religieux qui servira à maintenir l'ambiance de fête. La ronde se forme autour du maâlam dont la tunique noire tranche sur l'oranger des joueurs de karkabous. Avant de terminer, maâlam Youcef tiendra à saluer et remercier le public pour sa bienséance et le respect dont il a fait montre et sa joie ainsi que celle de toute sa troupe d'avoir passé avec lui ces moments. «Nous sommes contents d'être là, à Alger, chez nous. Dès que nous avons entendu parler de cette opération de solidarité, nous nous y sommes inscrits. Nous avons fait 500 kilomètres, à jeun, pour venir chanter devant vous, gracieusement, parce que cette opération concerne les enfants», dira le chanteur qui ajoutera que ces enfants sont sous notre responsabilité. Pas seulement nos enfants, mais tout enfant qui est malade, a faim, a soif, n'a pas d'amour, n'a pas joué, a perdu le sourire… n'est plus un enfant parce qu'un monde d'adultes impitoyable l'a décidé pour lui…Et le final sera avec les enfants. Le maâlam et sa troupe avancent sur le devant de la scène et invitent les enfants à les y rejoindre… c'est pour eux qu'ils sont là, après tout et c'est pour eux que la Tribune a dressé cette kheïma, avant tout.