Le phénomène n'est certes pas de grande ampleur mais il est assez inquiétant pour que l'on s'y attarde ce Ramadhan encore. Comme en 2010, les non jeûneurs sont la cible de certains policiers transformés en l'occasion en bras armé d'une insidieuse inquisition. En réalité, les «casseurs» de Ramadhan sont victimes d'une chaîne inquisitoriale et solidaire, composée d'un délateur anonyme, d'un journaliste intolérant et d'un magistrat inquisiteur. Cela commence généralement par une dénonciation qui permet à certains policiers zélateurs d'effectuer des descentes dans des lieux discrets où les «mangeurs» de carême se regroupent pour casser la croûte, loin des hommes mais si près de Dieu. Récemment, à Bourouba, quartier de ferveur religieuse de la capitale, la police a arrêté trois jeunes qui ont rompu le jeûne en grillant une clope ou en éclusant des verres d'eau. Toujours à Alger, deux autres personnes, prises en flagrant délit de «cassage» de Ramadhan près de Riadh el-Feth, ont été présentées au Tribunal de Bir Mourad Raïs. Il en est jusqu'à un quotidien algérois, porte-flambeau d'un national-islamisme, visiblement bigot et pudibond, qui met dans le même couffin du Ramadhan transgresseurs de jeûne et manieurs assassins de couteaux et de sabres. Probablement «vaincu» par le Ramadhan, comme on dit d'un jeûneur qui pète un plomb, ce journal, qui met les mangeurs diurnes à la Une, a dernièrement dépêché dans l'est du pays un reporter-jeûneur-fureteur. Digne d'un inspecteur Colombo du ventre vide, ce petit Torquemada a traqué les bouffeurs sur les plages les plus inaccessibles et jusqu'au fond des cimetières ! Scandalisé par ce qu'il a vu, il a décrit par le menu détail le menu des casseurs qui était parfaitement équilibré. Ces nouvelles incartades de journalistes et de policiers, s'ajoutent à celles de 2009 et de 2010 durant lesquelles d'autres compatriotes ont goûté aux charmes discrets des commissariats algériens avant de passer devant des procureurs moralisateurs. Ministère public finalement contredit par des juges qui ont appliqué la loi. On s'en souvient, l'affaire de deux grignoteurs de Ramadhan, des Kabyles de foi protestante, surpris de manger derrière les palissades de leur chantier de BTP, avait défrayé la chronique de l'intolérance durant le précédent Ramadhan. Le vaste mouvement d'opinion qu'elle a suscité a dû peser sur la décision du juge en faveur d'un non-lieu, conformément à la législation. Ces deux ouvriers pour lesquels la procureure avait requis trois ans d'emprisonnement, étaient jugés pour «atteinte et offense aux préceptes de l'Islam», sur la base de l'article 144 bis 2 du Code pénal. Les policiers avaient alors agi comme une police religieuse, à l'instar de l'Arabie saoudite avec ses mouttawwaïne. Le Haut Conseil Islamique, à l'image de la Commission pour la promotion de la Vertu et la prévention du Vice iranienne avait, lui, fait pression sur le Tribunal. En vain. Ces cas d'intolérance et bien d'autres, qui dévouent des Algériens peu fervents à l'anathème, sont significatifs d'une hypocrisie fondée sur une criminalisation rampante de l'irrespect du Ramadhan. Contre l'avis même du Prophète (QSSSL) qui a énoncé que «tout est au crédit du sujet musulman, sauf le jeûne qui revient à Allah, Unique Dispensateur de bienfait et de gratification». Cette inquisition, qui se veut juge du for intérieur de l'Algérien, est même en violation de l'article 36 de la Constitution qui garantit la liberté de confession et de conscience. En outre, rompre le jeûne aux heures indues, n'engage aucune responsabilité pénale, même au cas où il serait question de rupture ostensible du carême dans un lieu public. La loi est absolument muette à ce sujet. Elle ne prévoit même pas de sanction en cas de désordre entraîné par l'indignation que la rupture du jeûne est susceptible de soulever dans le public de jeûneurs. Ainsi, si la loi devait criminaliser les déjeuneurs du Ramadhan, il faudrait alors, dans le strict respect de la Loi divine et de celle des hommes, incriminer ceux qui ne font pas la prière ou ne s'acquittent pas de la zakat. Il faudrait aussi couper la main aux voleurs, lapider les fornicateurs adultères, emprisonner les prévaricateurs, embastiller les spéculateurs, punir les commerçants véreux, et bien d'autres pieux aux fronts marqués. Enfin, à méditer, avant l'Iftar, cette sentence de Régis Debray : «Le religieux est à la fois ce qui permet aux hommes de vivre, d'aimer et de se donner, et ce qui les pousse à haïr, à tuer et à prendre». Saha Ftourkoum. N. K.