Dans un beau roman du regretté Tahar Ouettar, les martyrs de la révolution du Premier novembre 1954 reviennent cette semaine. Pour voir l'état du pays et, peut-être, demander des comptes à son Etat indépendant. Dans le communique du dernier Conseil des ministres, il est dit que le FIS ne reviendra pas cette semaine. L'Etat algérien règle définitivement les comptes de l'ancien Front Islamique de Salut. Du moins, pense-t-il procéder à un solde de tout compte politique de l'islamisme radical, dont le fer de lance idéologique fut le parti de Madani et consorts. La question de son retour à la politique serait résolue, ad vitam aeternam. L'édit de fer est énoncé par la future loi sur les partis politiques. Ce texte met des verrous juridiques pour empêcher quelques anciens acteurs de premier ou de second plan de ce parti ou de groupes armés de revenir à la vie politique par quelconque porte ou par toute autre entrée dérobée. Le texte du Conseil des ministres use à ce sujet d'euphémisme lorsqu'il énonce que la nouvelle loi sur les partis prévoit des «dispositions à même de prévenir la réédition de la tragédie nationale». Le barrage ainsi érigé, n'est en fait pas nouveau. Il est même l'expression d'une fidèle continuité politique. La traduction du consensus le plus large, le plus solide au sein du régime à propos de l'interdiction d'une réincarnation politique du FIS dissous. Déjà, la Charte pour la paix et la réconciliation nationale avait chanté en 2005 son requiem. Elle avait tranché la question en des termes sans équivoque : le droit à l'exercice d'une activité politique serait dénié aux terroristes et à tous ceux qui ont instrumentalisé la religion contre la Nation et les institutions de la République. L'empêchement est réitéré tout aussi explicitement dans l'ordonnance 06-01 du 28 février 2006 portant mise en œuvre de ladite charte. On n'a donc pas chassé le FIS par les armes de la guerre et de la loi pour qu'il ait un jour des fils politiques ! Pour autant, les mesures d'endiguement juridique et d'empêchement politique signent-il la mort définitive de l'islamisme radical porteur de pouvoir subversif ? La réponse est évidemment non car on ne tue pas une idée avec une arme à feu ou le glaive de la loi. On a gagné des batailles importantes contre le terrorisme ; on l'a contenu et même réduit. Son recul est manifeste mais sa capacité de nuisance est toujours une réalité. Comme l'est aussi, de manière vivace, l'islamisme dans son expression orthodoxe. Le FIS, dans sa version organique est certes mort mais l'intégrisme a profondément imprégné les esprits comme on le constate dans la rue, la mosquée, l'administration et jusque dans les manuels scolaires et les tribunaux. A preuve, cette profonde vague de puritanisme qui fait qu'un jeune couple d'ados acnéiques peut être lynché sur une des plus belles artères de la capitale. Ali Belhadj n'a donc plus besoin de prêcher, d'autres sermonneurs anonymes le font à sa place en Algérie. Et bien d'autres sur le front cathodique arabe. On sait donc qu'il n'y aura pas d'avatars structurels du FIS. Mais qui peut garantir, aujourd'hui, face à la «fissisation» des esprits, que ses sympathisants ou ses ex-cadres d'hier, qui n'ont pas les mains maculées de sang d'innocents ou qui ont bénéficié de mesures de clémence, ne feraient pas de l'entrisme politique ? Il y a bien des partis islamistes BCBG, légalistes en diable, qui ont la barbe bien taillée et le costard de bonne coupe, pour accueillir les brebis en déshérence de l'ex-FIS. Ces barbus sans kamiss ont d'autres possibilités pour militer encore. Ils peuplent déjà, paisiblement, les travées de partis nationalistes, ouvriéristes, et bien d'autres formations dites démocratiques. C'est un secret mais c'est le moins bien gardé de la RADP. On le voit bien, les idées islamistes s'insinuent comme des particules de poussière même lorsqu'on verrouille à double tour juridique et qu'on calfeutre politiquement toutes les fenêtres d'accès à la militance active. C'est évident, les interdits juridiques, aussi puissants soient-ils, n'inciteraient pas l'islamisme à obéir à l'Etat républicain perinde ac cadaver. Un certain islamisme peut être soluble dans l'Etat rentier. On l'a constaté en Algérie depuis 1995. Mais l'islamisme radical, toutes formes et toutes expressions confondues, ne serait dissoluble, voire résoluble que dans un Etat fort sur ses fondements démocratiques. Comme sur les bords du Bosphore où l'islamisme a commencé en Parti de la Vertu (Fazilet), devenu le Parti du Bien-être (Refah) pour finir en parti de la Justice et du Développement (AKP). Un parti de gouvernement légitimé par l'urne et la pratique démocratiques. Qui nous donne envie, à nous, pauvres aspirants démocratiques algériens, d'être tous des Turcs. Et d'être surtout fiers de l'être. N. K.