Entretien réalisé par Moumene Belghoul La Tribune : Que pourrait apporter concrètement pour la cause palestinienne la très attendue initiative de ce 23 septembre à l'Onu ? SEBASTIEN BOUSSOIS : Plusieurs choses sont attendues. Tout d'abord celle d'être enfin considérée comme un Etat à part entière par le monde ; au moins en tout cas comme «Palestine», même si elle n'est pas sûre d'être membre à part entière de l'ONU et pourrait obtenir un statut d'Etat observateur comme le Vatican. Mais cela va permettre concrètement d'autres nouveautés sur le plan du droit international maintenant que la majorité relative des 2/3 des membres de l'ONU ont déjà reconnu la Palestine comme telle : si le conseil de sécurité rejette la demande palestinienne, de faire voter une résolution à l'Assemblée générale incluant cette demande d'admission. En devenant un Etat membre, le territoire occupé de Cisjordanie deviendrait de toutes les manières après le 23 septembre un Etat occupé, donc soumis aux conventions internationales ad hoc. Cela signifierait concrètement que l'Etat palestinien pourrait alors saisir la Cour pénale Internationale pour dénoncer la colonisation et les crimes de guerre perpétrés sur son territoire depuis 60 ans et le vote du plan de partage de la Palestine qui prévoyait déjà un Etat palestinien en 1947. Et là, débuterait le cauchemar pour Israël. Mahmoud Abbas a affirmé que les palestiniens s'attendaient à des temps «très difficile» après la demande d'adhésion d'un Etat de Palestine à quoi fait-il allusions selon vous ? Parce que la menace américaine de prendre des sanctions économiques à l'égard des Palestiniens semble se profiler si Mahmoud Abbas va au bout de sa démarche. Les Etats-Unis pensaient bien ne pas avoir à aller jusqu'à poser leur veto, mais il y a eu une telle action efficace de la part des lobbies pro-palestiniens dans un contexte régional difficile, que les Etats-Unis hésitent à se mettre à dos une partie des pays arabes en pleine transformation et transition démocratique. Le président palestinien fait aussi référence à l'embrasement possible dans les territoires et aux risques de violence qui pourraient émaner des implantations sionistes dans les Territoires. Peut-on envisager une 3ème intifadha ? Je ne sais pas car les Palestiniens sont fatigués et surtout, ne sont jamais parvenu à rien par la violence, y compris lors des deux premiers soulèvements. Et ça, ils en ont pleinement conscience. Le problème est que, pour revenir à ce que j'amorçais plus haut, maintenant les colons s'arment, appuyés par l'armée et fait nouveau, par la Ligue de Défense juive, mouvement interdit en Israël et aux Etats-Unis mais pas en France, et qui a envoyé une partie de ses membres pour armer et soutenir les habitants des implantations. Dans ce genre de situation, à l'image de la poule et de l'œuf, sans que l'on ne sache d'où vient le premier coup, l'escalade de la violence peut se faire très rapidement entre les Palestiniens des territoires et les 400 000 colons israéliens. Pourquoi la position de l'Europe reste toujours difficile à situer quand il s'agit des palestiniens ? Alors que c'est grâce à l'argent de l'Union européenne que le premier ministre palestinien Salam Fayadh a construit l'Etat palestinien «par le bas» et que l'Union s'est félicité du résultat de cette Palestine «comme un Etat souverain», la position de l'Europe est pourtant toujours floue lorsqu'il s'agit de faire parler d'une voix27 pays. Il y a des Etats membres réfractaires à l'initiative palestinienne, à commencer par l'Allemagne, l'Espagne et la France qui préféreraient faire voter une nouvelle résolution aux Nations unies et relancer les négociations directes. Leur crainte d'une proclamation unilatérale de la Palestine semble aujourd'hui plus prendre le pas sur les pays européens qui soutiendraient l'initiative d'Abou Mazen. Catherine Ashton, la haute Représente de l'Union pour les Affaires étrangères rappelait récemment qu'il n'y a pas encore de résolution sur la table, donc pas de position commune. Idem pour le président Sarkozy qui opte pour une solution négociée et non imposée tout en se réservant le fait du prince de dernière minute: «nous voulons l'unité de l'Europe. Mais quel que soit le résultat de ce vote, nous nous trouverons ensuite devant un processus de paix à reconstruire». Même chose enfin pour Guido Westerwelle, le ministre allemand des Affaires étrangères qui dit que les tentatives qui pourraient rendre la solution de deux Etats condamnée devraient être évitées. S'interrogeant si au final l'initiative palestinienne va servir le processus de paix ou le fragiliser. Les Etats-Unis ont annoncé user du veto contre la demande palestinienne, l'administration Obama ne risque-elle pas de saper le peu de crédit qui lui reste aux yeux de la rue arabe ? C'est une crainte mais le président Obama est coincé à un an des élections présidentielles de 2012 : d'un côté, la forte communauté juive œuvre pour la défense des intérêts d'Israël et pèse électoralement ; de l'autre, comme le disait un ancien président américain «il n'y a pas autant d'arabes aux Etats-Unis pour peser face aux juifs» et le soutien américain à certaines dictatures, y compris encore en place comme l'Arabie saoudite, se passerait bien d'un rejet par leur faute de l'adhésion de la Palestine comme Etat membre de l'ONU. Obama qui s'était prononcé pour un Etat palestinien l'année dernière souhaite poursuivre la voie négociée. Mais cela fait dix ans que tout est bloqué et l'on peut comprendre l'impatience des parties. Quand on voit que même J-Street, le lobby juif démocrate équivalent à l'Aipac, le puissant lobby conservateur juif américain, a appelé à s'opposer à l'initiative palestinienne à l'ONU appelant au retour aux négociations directes. La question demeure : quelles négociations et sur quelle base après des années d'impasse ? La conjoncture très particulière dans le monde arabe pourrait-elle constituer un atout favorable pour les palestiniens ou plutôt une donne incommodante ? Je pense qu'elle peut constituer un atout, dans le processus global de transformation et de transition politique et d'autonomisation à l'égard de l'aigle américain, et du néo-empire occidental qui pensait encore longtemps maintenir ses pions dans la région. Maintenant, en pratique, je n'ai pas souvenir que les pays arabes, aient été les plus grands défenseurs de la cause palestinienne, tentant même de l'enterrer comme au Liban et en Jordanie. Il est difficile à ce stade de se prononcer clairement. Mentionnons tout de même deux interventions symboliques : celle de la Turquie, en passe de peut être prendre un nouveau leadership politique au Moyen-Orient face aux difficultés de l'Egypte, de l'Iran et de la Syrie. Son premier Ministre Recep Tayyip Erdogan déclarait récemment que la reconnaissance d'un Etat palestinien n'est pas une option, c'est une obligation. Quant à Turki al-Faisal, l'ancien ambassadeur saoudien aux Etats-Unis et allié en théorie de Washington, il appelle les Etats-Unis à soutenir la demande palestinienne aux Nations unies sinon ils risquent de perdre le peu de crédibilité qu'ils ont dans le monde arabe. «S'ils ne le font pas, l'influence américaine diminuera encore, la sécurité israélienne sera affaiblie […], augmentant ainsi les chances d'une autre guerre dans la région. De plus, l'Arabie saoudite ne sera plus capable de coopérer avec les Etats-Unis de la même façon qu'auparavant.» Pensez vous que l'initiative inédite des palestiniens redonnera sa dimension internationale à la lutte des palestiniens pour leurs droits ? Je pense que le «tsunami politique» que prédisait le ministre de la défense israélien Ehud Barak a effectivement eu lieu. Il n'y a qu'à voir la place que prend le sujet dans les colonnes de la presse mondiale, dans les débats qui agitent l'Europe, et les Etats-Unis. Maintenant, nous ne pouvons que constater l'échec des négociations depuis des années, l'impuissance américaine à faire plier Benjamin Netanyahou sur l'arrêt de la colonisation dans les territoires et à Jérusalem-est. La Déléguée générale de Palestine à l'Union européenne Leila Shahid témoignait dans une interview à France 24 le 19 septembre dernier de la légitimité de l'action : «Vingt ans de négociations nous ont mis dans une situation où le premier ministre israélien prétend qu'il négocie alors qu'il grignote chaque jour un peu plus le territoire qui devrait être notre Etat avec la colonisation. Est ce que les Palestiniens seraient le seul peuple à ne pas être protégé par la communauté internationale ?», s'interrogeait-elle. Même le Kosovo et le Darfour le sont. Maintenant, le monde aura une vraie responsabilité puisque la Palestine sera devenue un Etat comme les autres.